Les trésors méconnus d'un mécène bidaoui

Au musée Abderrahmane Slaoui 

Au musée Abderrahmane Slaoui  . DR

ChroniqueLassé d’entendre des Casablancais gémir sur « l’absence de musée » dans leur bonne ville, notre chroniqueur s’est un peu mis en colère …

Le 20/10/2016 à 13h46

Oui, c’est vrai, Casa mériterait un « grand musée » national qui, entre autres, raconterait la courte mais captivante histoire, politique, humaine et architecturale de la Ville blanche ; un musée, si on veut limiter les frais, qui pourrait être installé par exemple dans le vaste vaisseau abandonné de l’ex-église(*) du Sacré-Cœur, ou bien dans l’historique maison mauresque de Dar Lyautey, en Vieille Médina(**), édifice où somnole un syndicat depuis des lustres.

Cependant, il est faux, archifaux de répéter que « Casa n’a pas de musée » alors qu’il jouit depuis 2012 de celui de la Fondation Abderrahmane-Slaoui(***), issu des collections réunies par le mécène marocain éponyme. Si Abderrahmane (1919-2001) laissa des trésors d’art très divers mais la plupart de premier choix, et ses héritiers ont exécuté son vœu en présentant au public, en permanence, une partie des collections de cet homme de goût ; lequel, outre son éducation traditionnelle de citadin arabo-musulman, avait acquis des connaissances occidentales auprès des peintres Edy-Legrand et Pontoy, ou bien chez des auteurs orientalistes de tout premier plan : Lévi-Provençal, Basset, Marçais, Massignon, Terrasse, etc. Feu le chatoyant collectionneur aurait pu inspirer la plume des Frères Tharaud, d’Ahmed Sefrioui ou de Driss Chraïbi.

ENTRE UNE ANCIENNE ÉGLISE ET UN FUTUR OPÉRA

On est ébloui en visitant cet immense « cabinet de curiosités » ; des curiosités de haut vol, installées selon les exigences modernes dans une villa Art-déco finissant, située magnifiquement au cœur d’un carré d’art sans pareil, formé dans le quartier du Parc, entre le Sacré-Cœur, l’Ecole des Beaux-Arts, les Arcades portugaises de Casa Branca et le futur Opéra de Casablanca. On a beau être venu dix fois au Musée Slaoui, et dans les tranquilles rues fleuries environnantes, on y découvre à chaque occasion de nouvelles raisons d’admiration.

D’ALI RBATI AUX MAJORELLE PÈRE ET FILS

Abderrahmane Slaoui amassa une étourdissante collection, unique en son genre : des affiches Art-déco, notamment ultra-marines ; quatorze tableaux d’Ali Rbati (1861-1939), premier peintre marocain des Temps modernes ; des œuvres de l’ébéniste Louis Majorelle (1859-1926) et de son fils Jacques Majorelle (1886-1962) ; une salle kitsch, cet art « outrancier » né en Allemagne vers 1860 ; des Corans multicentenaires ; de la vieille vaisselle fassie vernissée ; des bijoux anciens de tout le Maroc ; des cristaux de Bohême conçus jadis pour les Cours orientales ; des miniatures persanes ou mogholes et même une série rarissime d’ex-votos pisciformes en argent commandés au XIXe siècle par des pêcheurs espagnols ou portugais, etc.

SIX JEUNES DESSINATEURS

En outre, en ce moment, on peut se frotter au musée Slaoui à une expo temporaire(****) consacrée à six jeunes dessinateurs du Maroc, ayant chacun sa touche propre : Saïd Afifi, attiré par architecture et chirurgie ; Yassine Balbzioui, un « classique » imprégné par le quotidien et aussi par les films d’horreur, et qui figure déjà dans la fameuse collection de Bank El Maghrib ; Amina Benbouchta, qui a trouvé au Canada le goût de se plonger dans ses archives familiales, et qui a déjà exposé en Egypte et au Japon ; Julie Bernet-Rollande, à Casa depuis 2012 et qui s’est signalée par un « Carnet de voyage portugais » et son attrait pour le noir et blanc ; Badr Hammami, Marocain de Marseille qui n’aime pas les frontières mais qui apprécie l’Histoire au point d’avoir mis Napoléon Bonaparte dans un de ses dessins ; enfin Simohamed Fettaka qui montre un humour parfois violent, lequel a plu au Centre Pompidou à Paris et à des galeristes londoniens ou viennois.

Bonne visite aux trésors du Musée Slaoui et aux jeunes dessinateurs du Maroc !

(*) Le Sacré-Cœur est une église et non pas une « cathédrale », comme il est fautivement écrit un peu partout ; il n’y a de cathédrale, au Maroc et ailleurs, que là où il y a un évêque catholique : Rabat et Tanger en l’occurrence.

(**) « Vieille » et non pas « Ancienne » car, en bon français, cela voudrait dire alors que ladite Médina n’est plus une Médina …

(***) Mentionnons un autre musée privé ouvert au public, à Casa, celui du Judaïsme marocain, créé en 1998. 81 rue Chasseur-Jules-Gros, L’Oasis.

(****) Première exposition de Casa-Drawing, ouverte du 12 octobre au 10 décembre 2016. Musée Abderrahmane-Slaoui, 12 rue du Parc, 20070- Casablanca/ www.musee-as.ma

Par Hugoz Péroncel
Le 20/10/2016 à 13h46