Oui, je l’avoue, en espérant ne pas être découvert par les très raffinés intellos marocains de Casa (et Paris, et Bruxelles), mais j’aime le cinéma populaire arabe, particulièrement marocain. Et par dessus tout j’apprécie la gouaille marrakchie de l’impayable Abdellah Ferkous et de sa fréquente partenaire à l’écran, la malicieuse Bouchra Ahrich. C’est avant tout pour ce couple cinématographique que je suis allé voir « La isla de Perejil », le nouveau long métrage, présenté le 8 mars 2016 à Tanger, au cinéma Rif, d’Ahmed Boulane, cet acteur-technicien-cinéaste, sorte de « Monsieur Cinéma » du Septième Art en Chérifie.
Non seulement je n’ai pas été déçu par le duo Ferkous-Ahrich qui, avec un naturel confondant, sait déployer toutes les ressources de l’humour et de l’ironie spécifiques du peuple de la Ville ocre, mais encore j’en ai appris beaucoup, petite touche par petite touche, sur cette « guerre du Persil » qui, en 2002, Dieu merci, ne fit qu’un seul blessé, lors du bref « combat » opposant les Forces armées royales du Maroc et l’Armée royale espagnole, sur ce roc de 500 m de long et de moins de 14 hectares.
Cet îlot tabulaire rocheux qui a quand même quatre noms : Toura en berbère, Leïla en arabe, Perejil en castillan et Persil en français ( à cause du « fenouil de mer » abondant sur ce rocher insulaire), fut occupé par le Portugal dès 1415, lors de la prise de Ceuta, port qui devait ensuite être cédé à Madrid par Lisbonne, en compagnie de quelques récifs dont Leïla. Lors de l’invasion de l’Espagne par Napoléon 1er, l’îlot aux quatre noms fut investi provisoirement par les Anglais de Gibraltar. Bien plus tard, sous Franco, dans les années 1950, les Espagnols semblèrent reconnaître de facto la marocanité de ce rocher rifain situé à 250 m de la côte marocaine et 13 km de la côte hispanique … On vit alors sur Toura-Leïla passer sans histoire des soldats marocains, et aussi des chevriers rifains venus faire goûter le fameux persil à leurs cabris.
En 2002, le Maroc, ayant su que l’îlot abriterait dans sa vaste grotte des trafiquants divers (passagers clandestins, convoyeurs de drogue, etc) envoya six membres de ses Forces supplétives débarrasser Leïla-Toura de ces hôtes indésirables. Aussitôt à Madrid, comme si on n'attendait que ça, on cria au « viol de la souveraineté espagnole » et on dépêcha illico sur les lieux six hélicos, un bateau de guerre et plusieurs dizaines de soldats pour « libérer » l’îlot … Rien que ça !
Cette gesticulation guerrière finit par une médiation états-unienne avec retour à la case départ et l’îlot retrouva sa vie tranquille et solitaire, sans militaires des deux Etats concernés pourtant en principe amis …
Le film de Boulane montre bien le côté dérisoire, bêtement grandiloquent et un tantinet risible de cette affaire, où les Marocains furent peut-être un peu imprudents au début mais où la palme de l’absence d’humour voire du ridicule étatique revient sans doute à l’Espagne, en particulier à la señora Ana Palacio, alors ministre des Affaires étrangères, une rigolote involontaire qui s’ignorait…
L’île du film de Boulane est belle, dans sa sauvagerie naturelle. L’île réelle est encore mieux, surtout si on veut bien se remémorer que c’est là qu'Homère, dans « l’Odyssée », situe, près des Colonnes d’Hercule, la grotte de la nymphe Calypso (la grotte même utilisée par des contrebandiers, lors de l’intervention marocaine de 2002) où cette diablesse retint le brave navigateur Ulysse prisonnier plusieurs années … Un joli thème pour des voyages culturels intelligents le jour où Toura-Leïla-Persil pourra derechef être marocaine sans contestation possible, Inchallah.
LIRE« Les îles du Maroc », par le docteur Maxime Rousselle, fascicules I et II, 130 pages illustrées en tout. 2005 / rousselle.maxime@wanadoo.fr