Comme jadis dans la Mitidja d’Alger ou le delta du Nil, c’est en marchant dans la Chaouïa, loin des affreux mikas(*) mêlés aux sables du littoral océanique, que je me suis peu à peu imprégné de la vie paysanne. De temps en temps, après avoir acquis quelques œufs naturels dans un douar, je m’arrêtais sous un eucalyptus pour relire quelques pages d’un livre du regretté professeur de Sciences Politiques, Rémy Leveau, proche de l’irremplaçable sociologue marocain Paul Pascon : «Le Fellah marocain défenseur du Trône». Cet ouvrage de 1976 et 1985, traduit en arabe, n’a pas pris une ride en ce qui concerne les fondamentaux du monde rural et ses rapports, complexes et étroits, avec le Makhzen et avec les grands rythmes du système économique.
CAMPAGNARDSOn y voit comment, de tout temps, les Fellahs ont été le socle permanent du Maroc, la base intangible du pays, le fonds solide qui lui a permis de résister à tous les chocs. Et cela reste valable sous nos yeux dans un Etat-nation où 40% des habitants sont des «campagnards». Des «Aâroubiya», comme disent non sans condescendance, ceux des citadins qui ont oublié leurs racines rurales et qui ignorent le poids toujours actuel des Fellahs dans la vie du Royaume.
SÉCHERESSELes pluies avares de la saison passée viennent nous rappeler qu’une eau du ciel insuffisante compromet une part des récoltes, malgré les précieux «cent barrages construits en 100 ans», à travers le Mamlaka(**). 2016 a vu la production de céréales diminuer des deux tiers par rapport à 2015. Cela se répercute évidemment sur le moral des Fellahs qui, certes, ne sont pas du genre à s’arracher les cheveux mais n’en sont pas moins très inquiets, quoique avec pudeur, dans une contrée où la culture céréalière occupe à présent plus de 60% des terres ensemencées. En ville, dans les milieux d’affaires, certains vous diront : «Oh ! L’important c’est que le Maroc a décollé industriellement, devenant le premier destinataire des investissements étrangers dans la région Méditerranée-sud, Proche-Orient compris. L’agriculture suivra !» Voire …
ALGÉRIENS ADMIRATIFS Le Maroc évidemment reste favorisé, comparé à la Tunisie, en plein dévissage économique, et à l’Algérie où le «socialisme bureaucratique» (un joli pléonasme paru récemment dans une revue française de science politique …) est venu à bout d’une agriculture qui, il y a un demi-siècle nourrissait en fruits et légumes la moitié de la France, sans préjudice pour sa propre consommation. Aujourd’hui, les Algériens voyageant au Maroc notent l’aspect florissant des campagnes même après cette année de Jafaf(***) et n’hésitent pas à rapporter chez eux de la pure huile d’olive de Meknès ou même des pastèques de Berkane. Bravo aux Fellahs marocains !
(*) Nom marocain des sacs en plastique. Oui, je sais, une loi bénéfique est venue enfin en 2016 interdire l’usage de ces sacs au Maroc ; mais ladite loi ne prévoit pas de campagne nationale de ramassage des millions de mikas jetés depuis 25 ans à travers les plus beaux paysages où ils continuent pour le moment de nous narguer accrochés aux arbres ou aux barrières, formant parfois des petits nuages dans le ciel ou des îlots flottants sur rivières et mers …(**) Royaume en arabe.(***) Sécheresse en arabe.