Vous croyez aux contes de fées? Non? Eh bien, vous avez tort. L’histoire qu’un collègue m’a racontée hier appartient décidément à ce genre littéraire même si elle se passe aujourd’hui et pas dans un château: dans un hangar…
Oui, un hangar. Il y en a d’immenses, à l’orée des villes d’Europe, on y entrepose ses meubles quand on ne sait qu’en faire, quand on s’en va en congé sabbatique d’un an en Australie et qu’on loue sa maison, quand… Enfin bref, tout le monde sait ce que c’est qu’un garde-meuble, avançons un peu.
Ce matin-là, quelques ouvriers s’activent dans le hangar. L’un d’eux est un jeune Syrien qui vient d’obtenir l’asile politique et à qui l’agence qui s’occupe des réfugiés a trouvé ce job. Vu qu’il ne parle pas un traître mot de néerlandais et que son anglais est rudimentaire, on n’a pas trouvé mieux. Mahmoud (appelons-le Mahmoud) s’en contente. Toute la journée, il décharge des meubles, les range dans des boxes, colle des étiquettes. Donc, ce matin-là, Mahmoud attend avec les autres quand il remarque dans un coin un très beau piano qui attend d’être rangé. Il se dirige vers l’objet mais au lieu de lui ajuster quelque sangle, il pose un tabouret devant, relève le rabat et bientôt ses doigts volent sur les touches. Le réfugié syrien muré dans sa mélancolie se révèle être un virtuose, un enfant prodige qui faisait la joie de ses professeurs au Conservatoire de Damas ou d’Alep…
Imaginez la scène: dans ce grand hangar silencieux s’élèvent les notes d’un concerto de Rachmaninov. Les collègues de Mahmoud l’entourent, ébahis. Puis les applaudissements éclatent. La vraie langue internationale, c’est la musique.
Ce n’est que le début du conte de fées. Je vous la fait courte, amis: A raconte l’anecdote à B qui alerte C qui téléphone au puissant D, grand manitou de la musique à Amsterdam. Quelques semaines plus tard, après une remise à niveau, Mahmoud est dans le circuit musical, il a un agent, les concerts vont bientôt commencer…
Maintenant, vous attendez peut-être la morale de cette histoire. Eh bien, je ne sais pas. Y a-t-il une morale aux contes de fées? Ne s’agit-il pas seulement d’en jouir comme d’un petit rayon de soleil dans ce monde si froid?