Le m’qaddem et le big data

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ChroniqueNul besoin de mille ordinateurs de dix mille giga de mémoire, tournant à la vitesse de la lumière, pour accomplir cet exploit.

Le 27/11/2019 à 11h00

Des révélations sensationnelles ont paru avant-hier dans dix-sept media européens à propos d’un gigantesque programme chinois d’internement des Ouïgours (un million de prisonniers, dit-on). L'émission Panorama de la BBC y a consacré une heure. C'était passionnant.

Une chose m’a frappé: la façon dont les experts chinois utilisent le big data pour repérer les dissidents. En croisant des milliards d’informations obtenus par tous les moyens (caméras, écoutes, fiches anthropomorphiques, renseignements donnés par des mouchards…), l’ordinateur peut désigner les citoyens dont il faut se méfier, qu’il faut surveiller, voire mettre à l’ombre –avant même qu’ils aient commis le moindre délit!

Le reporter de Panorama semblait fasciné par les capacités des services chinois dans ce domaine.

Peuh… Ça ne nous impressionne pas, nous autres Marocains.

Dans ma bonne ville d’El Jadida, il y a un an, on a démantelé une cellule d’apprentis terroristes grâce à la vigilance d’un m’qaddem: il avait remarqué que trois jeunes gens tranquilles et discrets achetaient chaque jour une quantité de pain bien supérieure aux besoins de trois estomacs, fussent-ils doukkalis. C'était donc qu’il y avait des gens dans cet appartement qui ne voulaient pas apparaître au grand jour. Étrange… Il le signala à la police et celle-ci monta une souricière. Les gugusses planqués dans l’appartement furent promptement arrêtés. C'était des suppôts de Daesh. Ils n’étaient pas encore passés à l’action.

Nul besoin de mille ordinateurs de dix mille giga de mémoire, tournant à la vitesse de la lumière, pour accomplir cet exploit. Un petit m’qaddem, une mémoire de poisson rouge, la vitesse d’un Solex font l’affaire chez nous. C’est plus rentable –et sans doute moins dommageable pour l’environnement.

Quand j'étais petit, les rares crimes qui assombrissaient nos étés splendides dans les Doukkala étaient résolus en quelques jours, voire en quelques heures. Pas besoin de Sherlock Holmes. Lorsqu’un certain Zniga noya deux notaires dans la rue où nous habitions –Derb Bouhafid– le m’qaddem le désigna immédiatement à la police. Il savait que seul Zniga avait des biceps assez développés pour noyer deux notaires en leur plongeant la tête dans un grand baquet d’eau –essayez, vous n’y arriverez pas. Combien de temps l'ordinateur des services chinois aurait-il tourné avant d’extraire de la masse des données cette information capitale (les biceps de Zniga)–et d’ailleurs, l’aurait-il eue?

C’est peut-être pour cela que nos informaticiens sont si cotés et convoités par les firmes étrangères. Ils font semblant d'écrire des programmes pour aller fourrager dans le big data– mais en fait, ce sont les gènes qui parlent. Ils devinent où il faut chercher. Ils résolvent les problèmes à l’instinct. Tous des fils de m’qaddem –ou au moins des neveux, des nièces, comme nous tous. Vous n’allez pas me faire croire qu’il n’y en pas dans votre famille.

Mais bon: que tout cela reste entre nous. Sinon on verra, après la France et le Canada, la Chine se pointer ici pour recruter nos informaticiens.

Ou peut-être même nos m’qaddems

Par Fouad Laroui
Le 27/11/2019 à 11h00