Le Baudet de Cliteur

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ChroniqueÀ la différence de son mentor Paul Cliteur, Thierry Baudet a choisi de restreindre sa critique des religions au seul islam. L’important, c’est d'être élu…

Le 01/11/2017 à 11h55

Drôle de titre, me direz-vous. Certes. Il s’agit des noms de famille de deux Néerlandais jouissant dans leur pays d’une certaine notoriété. S’ils sonnent «français», ces deux noms, c’est que les Pays-Bas constituèrent autrefois un refuge pour les Protestants fuyant sous Louis XIV les persécutions dont ils faisaient l’objet dans leur patrie. Il y a ici de nombreuses familles complètement "assimilées", c’est-à-dire aussi hollandaises que le gouda, la tulipe ou le patin à glace mais qui n’en portent pas moins des noms très français.

Ce point de détail étant éclairci, nous pouvons continuer.

Il y a une vingtaine d’années, je croisais souvent le philosophe et juriste Paul Cliteur dans des débats à la radio, à la télévision ou dans un amphithéâtre d’université. L’homme était affable, courtois et modéré dans ses propos. Même si on n'était pas forcément d’accord avec lui, on ne pouvait lui dénier un trait important de son caractère: il s’efforçait en toute circonstance à l’objectivité. Ainsi, lorsque le sujet était l’islam ou l’islamisme, Cliteur ne manquait jamais de souligner que toutes les religions, et pas seulement celle-là, sont porteuses d’une violence intrinsèque. On peut ne pas être d’accord avec cette affirmation mais, au moins, elle n’accable pas une des trois religions abrahamiques en épargnant les deux autres, alors que toutes trois sortent du même moule.

Thierry Henri Philippe Baudet, né en 1983, fit des études d’histoire et de droit dans ma bonne université d’Amsterdam (il assista à un ou deux de mes cours), puis alla à Leyde écrire sa thèse, consacrée à la question de l’État-Nation, sous la direction de Paul Cliteur. Il se lança ensuite en politique, fonda son propre parti («Forum voor Democratie» –inutile de traduire, n’est-ce pas?) et prit part aux dernières élections législatives. Il vient d’entrer au Parlement. On lui prédit une belle carrière.

Là où je voulais en venir, c’est qu'à la différence de son mentor Paul Cliteur, Thierry Baudet a choisi –car c’est bien d’un choix qu’il s’agit– de restreindre sa critique des religions au seul islam. Dans l’absolu, il a le droit de le faire: nous sommes en démocratie et chacun peut bien dire ce qu’il veut, dans les limites de la Constitution et des lois. Mais le cas Cliteur/Baudet démontre la chose suivante: même quand ils savent ce qu’est la réalité des choses, même quand ils ont les moyens intellectuels de la comprendre et de l’expliquer aux électeurs, certains hommes politiques européens font désormais le choix cynique de leur mentir. C’est l’essence-même du populisme: la vérité, ou la recherche de la vérité, ne sont plus des valeurs en soi. L’important, c’est d'être élu et si cela passe par le mensonge, eh bien, mentons allègrement!

Autant il m’était possible, autrefois, de débattre avec Paul Cliteur parce que nous étions tous deux animés par la recherche de la vérité, une ambition qui est au cœur de la philosophie depuis Platon, autant il m’est impossible de croiser –intellectuellement– le fer avec Thierry Baudet puisque la vérité ne l’intéresse pas. Mais il y a une autre raison pour laquelle ce débat n’aura jamais lieu. Il y a quelques années, l’universitaire arabisant Hans Jansen avait proposé au sinistre Geert Wilders, le parrain du populisme xénophobe néerlandais, une discussion –en privé, si besoin était– avec moi. Wilders avait écarté d’un revers de la main l’idée en grommelant:

– Je ne parle qu'à ceux de ma race.

Je ne dis pas que Baudet, plus raffiné et plus intelligent que Wilders, choisirait les mêmes termes mais, au fond, il dirait la même chose.

On en est là. On a envie de crier: «Europe, réveille-toi, tes hommes politiques et tes ‘intellectuels’ sont devenus fous!» Heureusement qu’il y a des Edgar Morin ou des Peter Sloterdijk (dans La folie de Dieu (2008), celui-ci dénonçait les excès des trois monothéismes) pour sauver l’honneur et nous permettre de continuer d’espérer…

Par Fouad Laroui
Le 01/11/2017 à 11h55