Quelques mois par an, j’installe mes pénates dans une petite ville des R’hamna où l’on trouve des rôtisseurs, quelques jardins publics bien entretenus, une mine de phosphate et beaucoup de matière grise –la densité de chercheurs scientifiques par habitant doit être l’une des plus élevées d’Afrique.
Je loge dans une jolie maison infestée de chats que je nourris avant qu’ils ne me mangent. Le soir, sur la véranda, je lis tranquillement un bon bouquin, dans un silence absolu interrompu de temps à autre par le chant d’un oiseau ou la bagarre de deux félins.
Tout de même, j’ai parfois envie de regarder un bon film. Et c’est là que les choses se gâtent. Il se trouve que ma télévision est connectée à un satellite qui ne semble connaître que des chaînes du Moyen-Orient. Pourquoi pas? Ça me permet d'améliorer ma connaissance de l’arabe littéraire, belle langue au trésor infini de mots –j’en découvre chaque jour de nouveaux.
Mais les films? Je dois préciser: en langue originale. Je déteste regarder Brad Pitt parler allemand ou Al Pacino engueuler Robert de Niro en tagalog. Une seule de ces chaînes en diffuse, de ces films en version originale, sur quatre canaux différents. Il s’agit de movies américains: jamais, je dis bien: jamais, je n’ai vu un film italien (formidable fonds, pourtant), français (même pas le très consensuel Amélie Poulain) ou espagnol (donnez-nous Almodovar!).
Va pour l’Amérique. Et j’en viens maintenant au sujet qui me tracasse. Depuis des mois, je ne regarde, bien obligé, que des films d’action où ça tue, ça massacre, ça assassine, ça dépèce (je n'exagère pas), ça précipite du haut des remparts, ça ébouillante, ça étripe, ça éviscère, ça je-t’enfonce-le-doigt-dans-l’œil, ça tac-tac-tac-tac-tac (bruit de mitraillette), ça boum-badaboum (explosions à gogo), ça immole (mais oui), ça décapite (slash!), ça trucide, ça poignarde (aaaaah!), ça égorge, ça torture, ça occit tant et plus, ça chourine (prends ça!), etc.
Et cela toute la journée. On pourrait croire que ces chaînes auraient la décence de ne programmer ces horreurs que le soir, après 22.00, quand les mouflets sont au lit. Que non pas: ça commence à exterminer dès le petit-déjeuner.
J’ai fait un calcul qui m’a révélé que, statistiquement, un enfant de notre beau pays, s’il regarde ne serait-ce qu’un ou deux de ces films par jour, aura assisté à 8.000 meurtres avant même d’avoir atteint l’adolescence. Je pose la question aux psychologues ou psychiatres qui me font l'amitié de me lire: tout cela est-il sans conséquences?
Moi-même, après avoir subi pendant une semaine ce barrage de violence, j’ai soudain des envies d’étrangler mon chat Whiskas quand je l’entends se faire les ongles sur mon sofa; alors que je suis d’ordinaire plutôt placide. Si j’avais une kalachnikov à ma disposition, il ne resterait de Whiskas que des plumes, si j’ose dire.
Je répète la question: est-il normal que le petit Ayman ou la petite Mina regarde toutes ces horreurs à longueur de journée? Quelle génération de psychopathes sommes-nous en train d’élever?
Heureusement que ces chaînes ont quand même la décence d’éviter aux enfants l’abomination absolue. Quand le héros, après avoir massacré vingt vilains, s’approche de la jolie héroïne pour recevoir sa récompense (un chaste bisou), le censeur coupe sans pitié la scène et on passe à la prochaine, où il brûle vivants trois Chinois et décapite dix Slaves. Un bisou! Non, non, non! L'obscénité a des limites.