Hans et le tapis d’Abdelmoula

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ChroniqueCombien de ces faits divers qui encombrent la presse ne sont que des blagues mal comprises?

Le 14/03/2018 à 12h01

Ça s’est passé la semaine dernière. C’est un type (appelons-le Hans) qui se promène dans un quartier tranquille d’Amsterdam. L’après-midi tire à sa fin. Il fait un peu froid mais le soleil brille. Hans est donc de bonne humeur. Les mains dans les poches, il sifflote.

C’est un autre type (nommons-le Abdelmoula) qui profite du rayon de soleil pour faire le ménage chez lui. Plus précisément, il a sorti sur le balcon un tapis, qu’il entreprend d’épousseter en lui flanquant de grands coups avec une sorte de batte de base-ball. (On se demande bien pourquoi un Rifain a ce genre d’accessoire chez lui, mais bon, la vie est pleine de mystères.)

Dans la rue, Hans sifflote; au troisième étage, Abdeloula ahane et le tapis gémit. Une journée ordinaire dans un quartier où les ethnies cohabitent sans heurts, en général. Mais voilà que Hans lève les yeux. Avisant un “Arabe’’ (Hans ne fait aucune différence entre Rifains, Yéménites et Kurdes d’Irak: tous des Arabes) qui secoue son tapis, il lui vient à l’esprit une petite blague et le voilà qu’il lance:– Ho, Mohammed? C’est quoi, le problème? Il ne veut pas démarrer?

Faisons maintenant, chers étudiants qui lisez avec profit le360.ma, une étude de cette “blague’’ en termes de “communication interculturelle postcoloniale’’.

1. Hans pense aux dessins animés genre “Aladin’’ qu’il a vus dans son enfance.

2. Il se souvient alors que “les Arabes’’ se déplacent d’ordinaire en tapis volant– ou du moins qu’ils le faisaient dans un passé assez récent pour en garder un net souvenir.

3. Il lance sa blague en néerlandais. Or les blagues voyagent mal d’une langue à une autre– même en tapis volant…

4. Abdelmoula ne comprend donc rien à la blague de Hans. Mais comme celui-ci se marre comme un bossu, juste en dessous, Abdelmoula en déduit qu’on se moque de lui. Son sang ne fait qu’un tour, il dévale les escaliers quatre à quatre et saisit l’ami Hans par le collet. “Qu’est-ce t’as à t’fout’ d’ma gu…?’’.

C’est là que mon ami Talal intervient. (C’est d’ailleurs lui qui m’a raconté cette histoire. Merci, Talal.) Ce jeune homme de deuxième génération a suivi toute la scène vu qu’il lavait sa voiture dans la rue. Étant aussi à l’aise en néerlandais qu’en darija et en tarifit, il a compris le malentendu qui avait méchamment pris corps sous le soleil froid d’Amsterdam. Il s’interpose prestement entre les deux hommes, explique à l’un et à l’autre de quoi il retourne et l’affaire est réglée. Abdelmoula s’en retourne chez lui en grommelant:– Elle est pas marrante, sa blague.

… pendant que Hans peste:– Si on ne peut plus plaisanter…

Fin de l’incident. Circulez, y a plus rien à voir.

Maintenant, je pose la question. Si Talal n’avait pas été là au bon moment, comment se serait terminée cette histoire? Par un pugilat généralisé, les amis de Hans venant à la rescousse, ceux d’Abdelmoula dévalant des montagnes? Il y aurait eu des morts et des blessés, le truc aurait fait le tour du monde sous le titre “Drame de l’immigration, tensions ethniques, etc.’’ Combien de ces faits divers qui encombrent la presse n’ont pour cause que des blagues mal comprises?

Par Fouad Laroui
Le 14/03/2018 à 12h01