Je me trouvais l’autre jour sur l’autoroute Casa-Rabat avec le journaliste Najib Refaif quand il nous arriva quelque chose de curieux – ou non, ça dépend ; vous n’allez peut-être pas trouver cela curieux. Mais moi qui vis sous d’autres latitudes depuis longtemps, la chose m’a épaté.
Donc nous étions dans une voiture que conduisait un collègue de Najib et nous cherchions désespérément à trouver le chemin de Rabat. Ça semble étrange, formulé comme ça, parce que si on est sur l’autoroute Casa-Rabat, en principe, le chemin de Rabat c’est là-bas: en face. Il suffit de rouler.
Eh bien, non. Je ne sais pas comment se sont débrouillés mes collègues ingénieurs des Ponts et Chaussées mais à la sortie de Ain Sebaa, quand on essaie de se joindre au flot des voitures qui se rendent de la capitale économique à la capitale politique, eh bien, on tombe dans une sorte de cercle vicieux, un maelstrom, qui fait que non seulement on n’arrive pas à aller vers Rabat mais on n’arrive pas non plus à revenir à Casa. On tourne en rond. On dirait un de ces rêves psychédéliques suscités par l’absorption de trop de fromage juste avant dodo.
Bref, nous voilà en train de faire des ronds du côté de Aïn Sebaa, ahuris, ne sachant que faire. C’est alors que le conducteur d’une voiture qui roulait à notre hauteur nous crie quelques instructions. Il a compris notre problème. Lui, c’est un vieux routier, c’est le cas de le dire, il a compris l’énigme de l’autoroute et il nous en livre la clé. Nous remercions et il s’éloigne. Jusque-là, rien de spécial. Une telle scène aurait pu se passer dans n’importe quel pays du monde – sauf ceux qui n’ont pas d’autoroute.
Hélas, nous n’avons rien compris aux instructions du Bon Samaritain et, de nouveau, nous prenons la mauvaise sortie et nous nous retrouvons au point de départ, à tourner en rond. C’est alors que se produit le miracle. Le Bon Samaritain, qui se trouvait entretemps très loin devant nous mais qui a dû continuer à garder un œil sur notre voiture dans son rétroviseur, le Bon Samaritain ralentit, fait une manœuvre très compliquée, sort d’ici, rentre par-là, disparaît, réapparaît, et le voilà de nouveau à notre hauteur. Cette fois-ci, il ne nous crie pas d’instruction, il nous enjoint de le suivre. Nous le suivons, dociles. Il effectue les manœuvres qu’il faut et quelques minutes plus tard, nous voici en direction de Rabat. Nous remercions le bonhomme d’un coup de klaxon. L’air est pur et la route est large.
J’ai vécu dans beaucoup de pays. Je ne peux pas imaginer une telle serviabilité dans aucun autre que le Maroc. Nous passons notre temps à nous critiquer nous-mêmes, à nous dénigrer parfois, à nous comparer défavorablement. Mais parfois, il faut aussi donner un coup de chapeau quand on en a l’occasion. Chapeau, monsieur l’inconnu de l’autoroute!
Concluons en faisant de l’essentialisme dans l’autre sens, de l’anti-Orientalisme en somme. Les Orientalistes se basaient sur un ou deux cas pour généraliser leurs observations, toujours négatives: l’Oriental est paresseux, fourbe, lascif, etc. De ce qui m’est arrivé en compagnie de Najib Refaif sur l’autoroute nous pouvons tirer la conclusion: le Marocain est serviable. Le Marocain est gentil.