Café Le Cannibale, rue Jean-Pierre Timbaud à Paris, avant-hier. Quatre Marocains, cinq en comptant votre serviteur, et deux Français devisent paisiblement. (Je vais utiliser des pseudonymes pour ne me brouiller avec personne). La conversation roule sur ce jeune Marocain qui a fait don de sa personne à la France éternelle, pour la représenter au concours de brames et couinements qui a nom ‘Eurovision’.
Jamal: – Quand Ginette regardera l'Eurovision avec son ami sissi-boy en sirotant du jus de carotte sur son canapé, elle sera quand même légèrement déconcertée en constatant un p'tit Marocain transgenre incarner la France de Cocteau, Gide et Le Luron…
Hasna: – Moi, je trouve ça très cool, très sympa.
Dominique: – Vu que l’an dernier, on avait un truc engagé sur la crise migratoire et qu'on a perdu, on s’est dit que cette année il fallait changer de cap. Donc: 1) On arrête les chansons à texte et on prend un être qui n’est engagé que dans lui-même. 2) On le fait parler anglais sur des paroles gnangnan pour gagner en niaiserie. 3) Et si vous protestez qu’on aurait pu prendre meilleur trésor de l’Empire chérifien, on vous dira qu'on voulait un Ma-ROCK-ain!
Anis (l’intello): – Tout de même, la France envoie un p’tit Marocain la représenter à... Tel-Aviv! C’est beau. Vive Chirac!
Jamai: – Il y a quelque part une interview du jeune homme sur la Toile. Délicate mise en bouche avec la première phrase de sa bluette–‘I am me’– qu’il explique ainsi: “Quand j'ai commencé à écrire les lyrics, la phrase est venue directe. C'était vraiment une évidence, il fallait que je dise que je suis moi et que je serai toujours moi et que ça ne changera jamais!”
Dominique: – C’est d’la philo?
Émilie: – Non, non, il a raison. C’est la liberté d'être ce qu’on est et de le revendiquer.
Hamid: – Ouais… Mais tout en restant lui-même, je trouve qu’il aurait pu changer de prénom. Bilal, c'était quand même cet esclave affranchi par le Prophète et dont ce dernier fit son premier muezzin– because sa voix belle et puissante. Sauf qu'entre l'appel à la prière et la pelle roulée à Pierre-Paul-Jacques, il y a une marge. Nos islamistes vont se déchaîner.
Dalal: – Et qui te dit qu’ils ne regardent pas l’Eurovision en douce? Moulin Rouge, Eurovision, c’est hijab blanc et blanc bonnet.
Dominique: – Et tout ça arrive le jour de la mort de Michel Legrand, maestro de la musique de film... Une France s'éteint le jour, une autre s'éveille la nuit.
Anis: – Bilal remplace Michel! Les pénistes vont s’étrangler…
Laure: – A tort: Michel Legrand était à moitié Arménien. “Et tout cela fait d’excellents Français”, comme le clamait Maurice.
Hamid: – En tout cas, moi je joue gagnant à tous les coups: s’il gagne, ce gamin, ce sera le Maroc qui aura remporté l’Eurovision. Sinon, j’le connais plus, ça sera un Français.
Dalal: – Pour Ma’âme Michu ou Marcel-gilet-jaune, ce sera exactement l’inverse: Français s’il gagne, Marocain s’il perd.
A l’issue de ce badinage parisien à bâtons rompus et alors que nous nous apprêtions à affronter le mauvais temps pour rentrer chacun dans nos pénates, je me fis la réflexion que j’avais pris part à la conversation la plus oiseuse, la plus niaise de ma vie. Il fallait bien que cela arrive un jour. Alors, tant qu’on y est: vas-y Bilal! Et vive l’amitié transgenre franco-marocaine!