Entendu l’autre jour à la radio: «la rivière est hors de contrôle…». Quel contrôle? Celui de l’homme? Mais pourquoi les hommes devraient-ils contrôler les rivières? Elles sont là depuis des dizaines de millions d’années. Elles étaient là bien avant nous.
En septembre dernier, Nicolas Sarkozy –invité d’honneur pour l’ouverture de la Semaine de l’immobilier à Paris– s’est lourdement moqué des écologistes: «si demain quelqu’un voulait construire la Tour Eiffel, ceux qui défendent les crapauds à pois bleus s'y opposeraient!»
Je n’ai rien contre l’ancien président de la République française, qui est un grand ami du Maroc, mais sa sortie suppose que le crapaud –et par extension, toutes les bébêtes– doivent dégager dès que l’Homme entend construire quelque chose sur leur habitat naturel. En d’autres termes, tout est à lui, rien n’est à eux.
Pourquoi?
On cite souvent à ce propos les religions: «Éparpillez-vous sur la Terre...», «Croissez et multipliez-vous…» Certes. Mais où est-il écrit, dans la Bible ou le Coran, que les animaux ne sont pas chez eux sur la Terre?
Parfois, c’est Descartes qu’on cite. Dans la 6e partie du Discours de la méthode, il écrit qu’il faut se rendre «comme maître et possesseur de la Nature» –formule mille fois répétée et ressassée. Malheureusement, neuf fois sur dix, on se trompe en la citant. En effet, si on continue de lire ce passage, on tombe sur son sens réel: le grand philosophe dit que l’Homme doit se rendre «comme maître et possesseur de la Nature» en ce sens qu’il a intérêt à découvrir tous les secrets de ladite Nature. Pourquoi? Eh bien, pour découvrir des remèdes contre les maladies, pour préserver la santé de l'être humain! Très actuel, en ces temps de pandémie… Descartes l’écrit noir sur blanc. Il ne s’agit donc nullement d’une conquête, d’une possession de la Terre (comme on le croit souvent) mais d’une acquisition de la science pour accroître le bien-être des hommes.
Ces réflexions me sont venues alors que je buvais un verre de thé avec ma sœur, la semaine dernière, sur une plage proche de Dar Bouazza –vous connaissez ces gargotes, deux chaises en plastique, une table mal fichue, un parasol qui ne pare aucun sol parce qu’effiloché depuis sa première tempête. Son petit chien, qui gambadait par-ci par-là, se faisait constamment embêter par des enfants. L’un lui jetait des pierres, l’autre le menaçait d’un grand bâton… A cet âge-là, déjà, ces enfants semblaient avoir l’idée bien ancrée en eux que l’homme est chez lui sur Terre –et pas les animaux: tous des intrus.
Or si on calcule par la biomasse, la Terre appartient majoritairement… aux bactéries; puis aux insectes (70% du règne animal); puis aux poissons; puis… L’homme arrive loin derrière. Bien sûr, aucune libellule n’a jamais peint une Joconde et aucun tigre n’a jamais tracé les élégantes équations de Maxwell. Mais cela nous donne-t-il des droits ou bien des devoirs? Si nous sommes seuls doués de conscience sur cette petite planète –le troisième caillou en partant du Soleil– n’est-ce pas pour mieux prendre en charge ceux qui ne le sont pas?
Sur ce caillou, nous sommes tous embarqués. C’est peut-être cela qu’il faudrait apprendre aux enfants pour qu’ils cessent de jeter des pierres aux chats et aux chiens. La Terre n’appartient pas à l’homme mais à tous ceux qui vivent dessus, fût-ce l’espace d’un matin.