Depuis la reconnaissance américaine le 10 décembre 2020 de la marocanité pleine et entière de notre Sahara, la diplomatie marocaine n’a eu de cesse d’œuvrer activement en vue d’obtenir d’autres victoires diplomatiques: ouvertures de plusieurs consulats de pays amis dans les provinces du Sud, soutien de l’Allemagne puis, récemment, de l’Espagne au plan d’autonomie proposé par le Maroc, projet de gazoduc offshore Nigéria-Maroc qui traversera irrémédiablement les eaux territoriales marocaines aux larges de nos provinces du Sud, ce qui équivaut de facto à une reconnaissance de notre souveraineté sur ces territoires, etc.
La liste est longue. Mais ce que nous nous proposons ici de faire, c’est de définir les contours de cette nouvelle doctrine marocaine en relations internationales à l’origine de cette nouvelle dynamique. Si cette dernière n’est nulle part clairement définie ni théorisée, il nous est cependant possible de la déduire au moins dans ses grandes lignes.
Elle pourrait ainsi être théorisée autour de 4 piliers majeurs.
Premièrement, la diversification stratégiqueLe Maroc a acté que ce qui fut qualifié de «moment unipolaire», autrement dit la parenthèse allant de la fin de l’Union soviétique jusqu’au début des années 2000, caractérisée par une hégémonie indiscutable des Etats-Unis, commençait à prendre fin. La nécessité de ne plus dépendre d’un seul pôle de puissance s’imposait.
Ainsi, tout en gardant des relations solides avec l’Union européenne, et l’Occident en général, le Maroc, à travers deux importantes visites royales à Moscou et à Pékin en 2016, a élargi son horizon stratégique en incluant l’Eurasie, et ce, à travers la signature de deux partenariats stratégiques avec la Russie (principal rival stratégique des Etats-Unis) et la Chine (principal rival économique des Etats-Unis). Au Moyen-Orient, le renforcement des liens avec les monarchies du Golfe à travers le Conseil de coopération du Golfe a offert au Maroc un point d’appui solide autant sur le plan économique que diplomatique.
Cette démarche royale nous a donné une marge d’autonomie et une capacité d’arbitrage qui s’avèrera cruciale pour accroître le poids stratégique du Maroc.
Deuxièmement, le «réalisme»Tout le défi du réalisme réside dans la capacité d’un Etat à épouser et optimiser l’usage qu’il fait du réel, au service de ses intérêts nationaux.
La fin de la stratégie de la «chaise vide» s’inscrit dans cette perspective. Décidé par le Roi, le retour du Maroc en 2017 au sein de l’Union africaine a non seulement mis fin à l’impunité des manipulations et agissements de nos principaux adversaires diplomatiques sur le continent (Algérie, Afrique du Sud…), mais il nous a également permis de changer la position de bon nombre de pays africains concernant le Sahara marocain en notre faveur. Dans ce nouveau champ de bataille diplomatique, nos armes sont la justesse de notre cause et l’argumentaire y afférent, ainsi que notre soft power économique. Comme le dit l’adage, «gardez vos amis près de vous, et vos ennemis encore plus près».
Autre aspect en rapport avec le réalisme, notre nouvelle doctrine consulaire. Ayant conscience du fait que beaucoup de pays amis n’ont pas le poids géopolitique nécessaire pour reconnaitre immédiatement et de manière unilatérale la souveraineté du Maroc sur son Sahara, la diplomatie marocaine leur a offert une alternative autant crédible qu’efficace: ouvrir un consulat dans nos provinces du Sud. C’est ce que je qualifie de reconnaissance «implicite». L’objectif à terme est de transmuter cette reconnaissance en reconnaissance «explicite». Cette approche originale nous permet non seulement de garder l’initiative, mais aussi de faire avancer graduellement mais sûrement notre cause.
Troisièmement, le «souverainisme»L’efficacité d’une doctrine réside en grande partie dans sa cohérence globale. Ce à quoi le Maroc est attaché. Car en défendant la souveraineté de tous les Etats et leur intégrité territoriale et en condamnant toute forme d’ingérence étrangère dans les affaires des autres pays, la diplomatie marocaine défend également la nôtre par ricochet. Ainsi, le Maroc, et ce, malgré les pressions européennes, soutient, à titre d’exemple, l’intégrité territoriale de la Serbie en ne reconnaissant pas la pseudo-indépendance du Kosovo. Plus récemment, et suite au conflit russo-ukrainien, la diplomatie marocaine a très sagement et clairement rappelé son attachement à l’intégrité territoriale de tous les pays, sans pour autant prendre position frontalement dans un conflit qui ne nous concerne pas directement.
Autre exemple: le Mali. Le changement de pouvoir qu’a connu ce pays en 2021 a donné lieu à des réactions presque hystériques de la part d’une multitude de pays. En ne s’inscrivant pas dans cette logique de meute, le Maroc a affirmé faire confiance aux Maliens pour réaliser leur projet de transition politique, tout en gardant des relations de partenariat très fortes entre nos deux pays.
Les exemples sont nombreux: intransigeance payante du Maroc face à l’Allemagne et l’Espagne, approche marocaine de la pacification de la Libye… Le Maroc s’érige de plus en plus comme un pôle géopolitique incontournable et crédible dans la région, en partie du fait de son ferme attachement à la souveraineté de chaque Etat.
Quatrièmement, le subtil équilibre entre continentalisme et ancrage atlantiqueA partir de 2016-2017, comme nous l’avons rappelé précédemment, le Maroc a commencé à renouer avec sa profondeur continentale africaine, fondée sur des siècles de liens et d’enracinement civilisationnels. Cependant, cette dynamique n’a jamais pris la forme d’une rupture ou d’un bouleversement stratégique. Car cela ne s’est jamais fait au détriment de nos autres liens stratégiques. C’est dans une perspective d’élargissement stratégique que le Maroc, tout en se redéployant en Afrique (UA, CEDEAO), opère un nouvel ancrage atlantique via le renforcement des liens stratégiques avec Washington, mais aussi les autres partenaires occidentaux (Royaume-Uni et UE).
Par conséquent, Afrique, Moyen-Orient, Russie, Chine, Europe, Amérique du Nord et Amérique du Sud constituent des vecteurs dynamiques de cet élargissement tous azimuts, qui se fait sans rompre à aucun moment l’équilibre avec l’un de ces différents blocs.
Enfin, la vision et le soft power économiqueLes partenariats Nord-Sud et Est-Ouest fondent l’approche géoéconomique du Royaume. D’Abuja à Pékin et de l’Europe à l’Afrique, le Maroc établit des ponts entre les différents continents à travers une vision, de grands projets et une politique d’investissement efficace.
En adhérant au projet chinois de la nouvelle route de la soie, le Maroc se projette en nœud économique incontournable pour connecter l’Asie autant à l’Afrique qu’à l’Europe du Sud.
Quant aux gigantesques projets de gazoduc Nigéria-Maroc et de production massive d’énergie solaire (Noor I et II), initiés tous deux par le Roi, le Maroc se projette en futur hub énergétique dans un monde où les tensions et conflits graviteront principalement autour des approvisionnements énergétiques.
Quant aux infrastructures, les exemples ne manquent pas. Le port de Tanger Med, le TGV, etc. constituent les soubassements concrets de cette ambition.
Face à cette nouvelle doctrine, les obstacles et les freins demeurent les mêmes. Car le Maroc doit encore composer avec certains anachronismes de nos rivaux, qui restent mentalement enfermés dans des alliances héritées de la guerre froide qui n’ont souvent plus lieu d’être. Mais le réel finit toujours par s’imposer.
A l’instar des doctrines d’autres pays qui, non seulement, sont clairement définies, mais portent également des noms (Monroe, Truman, Davutoglu…), il nous reste à baptiser la nôtre.
Le nom de doctrine «Mohammed VI - Bourita» semble convenir parfaitement. Car l’architecture, la vision stratégique et les grandes impulsions sont royales, celles du Roi Mohammed VI, la mise en œuvre redoutable est celle d’un ministère des Affaires étrangères dirigé avec détermination et sagacité par Nasser Bourita.
Il est peut-être désormais temps pour les experts autant que pour les journalistes marocains de parler, d’interpréter et d’analyser nos actions diplomatiques de manière moins fragmentée, en les inscrivant dans ce qui s’apparente clairement à une doctrine nouvelle, cohérente, et efficace, dont on a essayé ici de faire une très brève esquisse.