Ep6. Une étincelle de bonheur sur leur front, ou quand Kebir Ammi évoque l'apport de Khatibi

Kebir Mustapha Ammi, écrivain. 

Kebir Mustapha Ammi, écrivain.  . DR

Chronique«Beaucoup de gens qui se promènent en chair et en os dans le monde réel ne lui appartiennent pas». (Kierkegaard). Né en 1952 à Taza, Kebir Mustapha Ammi vit à Paris et livre ici les enseignements de sa rencontre avec l'écrivain Abdekébir Khatibi. Le360 en publie aujourd'hui le dernier épisode.

Le 07/06/2020 à 09h44

28-Ma logeuse

Je n’ai jamais su ce que ma logeuse a pensé de La Mémoire tatouée. Comme je n’ai jamais su si elle s’était rendue dans les Aurès. Elle avait préparé si soigneusement ce voyage. Ce n’aurait été que justice qu’elle le fît.

29-Tous les combats

La vie n’est pas une ligne droite et la mémoire est le résultat d’une longue route escarpée. Elle est récalcitrante et la mienne n’échappe pas à la règle. Il me faut me battre, pour lui subtiliser ce que je peux. Je me livre à tous les combats. Et tous les moyens sont bons. Les masques sont des alliés. De premier ordre. Je me livre, en cas de besoin, au plus vil commerce, un trafic clandestin, pour lui extorquer ce qu’elle ne consent pas à livrer de bonne grâce.

30-Khenchella

C’est à Khenchella, de l’autre côté de la mer, que ma logeuse voulait se rendre, pour voir la montagne où son bien-aimé est mort. Il avait vingt ans et cette guerre, contre des gens qui voulaient recouvrer leur dignité et leur terre, n’était pas sa guerre.

31-D’un mur gris jaillissent des merveilles

Quand je vois une femme, élégante et d’un certain âge, place de la Mairie, je me dis toujours que ma logeuse doit lui ressembler très certainement, si elle est encore de ce monde. Je suis sans cesse aux aguets, quand je me dirige vers la place de la Mairie. Je m’arrête devant le poème de Rimbaud, qui a rendu, ces dernières années, la rue Férou plus belle. Je le relis et chaque fois d’un mur gris jaillissent des merveilles. J’avance, en marchant sur les pavés. Je pense toujours aux gestes des artisans, qui ont su les joindre avec tant de soins. Sur la place de la Mairie, je jette inévitablement un œil à l’intérieur de l’église. Pour voir les peintures de Delacroix. Mais pas seulement. Je me rappelle certain jour, Place Fürstenberg, nous avions un peu plus de vingt ans, il faisait beau, les gens étaient heureux.

32-Les lieux essentiels

Ciel, comme le temps passe vite! Mais qu’est-ce que le temps? La place de la Mairie continuera d’être ce qu’elle est. Peu lui chaut que les heures ne le veuillent pas. Il en est ainsi des places essentielles. Celles qu’aucune mémoire ne peut défaire ni aucune arme ne peut vaincre.

33-Une femme radieuse

Je ne désespère pas de revoir ma logeuse, en haut d’un escalier, radieuse, toute de blanc vêtue, un livre à la main. Elle rêvait de se marier dans cette église. Elle a dû laisser, de propos délibéré, dans l’opus qu’elle m’a offert, le ticket de métro et son billet de la Cinémathèque.

Par Kebir Mustapha Ammi
Le 07/06/2020 à 09h44