Heureux soient les «séminaristes»!

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ChroniqueJournaliste chevronné et spécialiste des médias, pour avoir notamment été directeur adjoint du département du suivi des programmes à la HACA de 2005 à 2017, Chafik Laâbi vous propose une rubrique dédiée à ce chantier qu'est le champ médiatique au Maroc. Voici un aperçu.

Le 05/01/2018 à 12h06

S’il existait un paradis des séminaires, il aurait élu domicile dans les journaux télévisés (JT) du navire amiral de la SNRT (Société nationale de radiodiffusion et de télévision), Al Aoula.

Intrigués par la fréquence de ces séminaires dans les JT de cette télévision publique, nous avons pris un échantillon de deux semaines de l’édition du soir, choisi arbitrairement, au cours du mois de décembre 2017 (du 3 au 9 et du 13 au 19) pour confirmer ou infirmer cette impression. Quelle fut notre surprise! En seulement 14 jours, nous avons dénombré pas moins de 78 couvertures de séminaires, de journées d’études, de congrès, de rencontres, de réunions et même de conférences de presse! Soit une moyenne de 6 couvertures par JT, avec un pic de 11 couvertures le 19 décembre. Heureux soient les «séminaristes»!

A moins qu’il ne s’agisse d’un événement majeur, les conférences de presse, partout dans le monde, sont l’affaire des journalistes. Cela fait partie des coulisses de l’information. C’est de la matière première destinée aux journalistes pour assurer leur travail d’informer et nullement des informations en soi.

Ces couvertures étaient au départ la saine manifestation d’une volonté d’ouverture de l’héritière de la RTM sur la société et sur l'environnement national global. Seulement, ce qui était une initiative louable s’est muée au fil du temps en déplorable dérive lourde de conséquences.

Suivre un JT d'Al Aoula laisse immanquablement, pour la séquence «Informations nationales» du moins, qui fait suite aux actualités internationales, une impression de collection de bric et de broc de couvertures succédant les unes aux autres sans aucun lien d’unité de sujet, de logique ou de simple actualité entre elles.

Pire encore, ces couvertures sont très souvent dénuées de toute valeur informationnelle. Prenons un exemple ou deux pour illustrer le propos. Lors du JT du soir du 22 décembre 2017, la réunion du conseil d’administration qui devait adopter le budget 2018 de l’Agence du développement numérique a fait l’objet d’une couverture. Même si la parole a été donnée à plusieurs intervenants, rien n’a été dit sur la mission et les prérogatives de cette agence. Aucun exemple d’actions entreprises en 2017 ou celles prévues en 2018. On n’a même pas dit qui présidait cette agence et quelle était la composition de son conseil d’administration. Mais le meilleur a été laissé pour la fin: même le montant du budget de 2018 de cette agence n’a pas été révélé aux téléspectateurs.

La même vacuité informationnelle a été reproduite pour une autre couverture consacrée à un forum sur «La représentativité des femmes dans les parlements des pays d’Afrique du Nord». Aucune donnée chiffrée sur le pourcentage des femmes siégeant dans les parlements de ces pays et de son évolution n’a été donnée. Rien non plus sur les solutions trouvées, ici et ailleurs, pour avancer sur la voie de la parité.

En fait, à chaque fois, le même scénario nous est servi: après une présentation sommaire du sujet en plateau, le reportage donne la parole à plusieurs intervenants, qui restent dans les généralités. Aucun effort manifeste des journalistes-reporters (quand il y en a sur place), aucune recherche d’informations, pas de mise en perspective, pas de plus-value et finalement aucun intérêt pour les téléspectateurs.

Cela pose in fine le problème de la notion même d’information. Ne parlons pas des informations présentées sous forme de récit («story») ou de techniques narratives, devenues des standards universels dans le traitement de l’information. Selon Guy Lochard dans «L’information télévisée»: l’information «est régie par des normes professionnelles qui tendent, en vertu d’un souci d’attractivité, à formater les reportages en les inscrivant dans des schémas narratifs». L’information est donc présentée sous la forme d’histoires pour susciter l’émotion chez le téléspectateur.

Tout en prenant en considération les lourdes contraintes pesant sur la première chaîne de télévision publique et le contexte national, nous sommes forcés de reconnaître que nous sommes encore bien loin du compte, étant donné, toujours selon Guy Lochard, que «l’information télévisée (…) constitue un enjeu décisif de formation intellectuelle et d’éducation citoyenne».

Par Chafik Laâbi
Le 05/01/2018 à 12h06