Jeûner ou se faire vacciner, quelle sera la priorité?

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ChroniqueIl faut avoir l’honnêteté d’affronter cette question complexe sans démagogie, sans surenchère religieuse ou émotionnelle: comment faire pour empêcher le jeûne du ramadan de perturber, pour ne pas dire bloquer, la campagne de vaccination?

Le 20/03/2021 à 08h59

Est-ce que le Maroc arrivera à vacciner tous ses citoyens avant l’été? C’est ce qui est prévu, c’est ce qui est surtout espéré… et il y a bien sûr du chemin entre les deux.

La plus grande incertitude ne concerne peut-être pas l’arrivée des nouveaux lots de vaccins, même si elle ne va pas de soi. Le Maroc devra se battre sur ce terrain, mais il a de l’avance, il a déjà montré qu’il savait jouer des coudes dans ce qu’on peut appeler «la course aux vaccins», alors croisons les doigts et faisons-lui confiance pour ramener les nouveaux lots tant attendus.

Passons, si vous le voulez bien, à l’autre incertitude, qui parait plus dure encore, parce qu’elle ne relève pas de l’économique mais du culturel. Oui, à un moment donné, le plus dur ne sera pas de trouver un vaccin, mais de convaincre le vacciné. Bienheureux est celui qui y arrivera!

Dans quelques semaines, c’est le ramadan. La perspective toute proche du mois sacré doit nous ouvrir les yeux sur un problème qui se dresse déjà comme une petite montagne: comment se dérouleront les vaccinations et à quel rythme? Quels horaires?

En discutant avec un ami médecin, j’ai pu mesurer l’ampleur du problème. Les équipes médicales et paramédicales, qui cravachent déjà depuis plusieurs semaines et qu’il faut saluer ici pour leurs sacrifices, se posent des questions. Le ramadan imposera un certain nombre de réajustements. Faudra-t-il installer un système de roulement, avec des équipes de jour et d’autres pour le soir? Faudra-t-il étendre les lieux de vaccination (pharmacies, cabinets médicaux) pour pouvoir toucher plus de monde, à l’instar de ce qu'il se passe dans certains pays d’Europe?

Le Maroc est-il assez équipé, sur le plan logistique mais aussi humain, pour garder le «rythme» pendant le ramadan? Et puis, est-ce que tout cela sera compatible avec les contraintes du couvre-feu nocturne?

L’origine du casse-tête s’appelle le jeûne. C’est le nœud gordien. Il faut avoir l’honnêteté d’affronter cette question complexe sans démagogie, sans surenchère religieuse ou émotionnelle. C’est bien connu, les vaccins, comme toutes formes d’injections, invalident le jeûne. D’où le problème, pour ne pas dire les problèmes.

Sans rentrer dans certaines considérations, on sait très bien que la majorité des Marocains observent scrupuleusement le jeûne. Pour des raisons religieuses mais aussi culturelles. On sait aussi que beaucoup de malades chroniques vont jusqu’à refuser toute médication, mettant ainsi leur santé en péril, pour respecter le jeûne.

Demandez autour de vous, et vous verrez: pour beaucoup de personnes, probablement une majorité, la priorité ce n’est ni la santé, ni le bien-être, ni quoi que ce soit, mais le jeûne. Disons-le en une formule: jeûnons d’abord, on verra pour le reste après!

Il s’agit pourtant aujourd’hui de changer de priorité: vaccinons-nous d’abord, et on verra pour le reste après! Cela paraît difficile, mais ce n’est pas utopie.

Pour arriver à inverser les priorités, il faudra compter sur le concours d’un nouveau «corps». Le corps médical et paramédical, le corps administratif, tout l’appareil du ministère de l’Intérieur (et on sait qu’il peut être lourd et persuasif !), ne suffiront pas. Pas cette fois.

Il faudra donc voir du côté des imams et des oulémas. Sauront-ils «jouer le jeu», trouveront-ils les mots (fatwas, prêches) pour convaincre la majorité de donner la priorité au vaccin, aux dépens du jeûne?

Ce défi sera encore plus dur à relever. Parce qu’il est d’ordre culturel!

Par Karim Boukhari
Le 20/03/2021 à 08h59