Fautes de frappe!

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ChroniqueQu’est-ce qui compte au juste: être honnête et rater sa vie ou réussir partout après avoir triché?

Le 15/06/2019 à 16h58

A Rabat, un élu a été surpris en train de tricher… à l’examen du bac. C’est d’autant plus surréaliste que l’on nous dit que ce «jeune» député (la cinquantaine) jouit par ailleurs d’une très bonne réputation, et il est islamiste…

Hiérarchisons un peu les informations, si vous voulez bien. Nous avons donc un représentant du peuple qui siège au parlement, il est jeune et il est honnête, c’est un homme d’affaires prospère, et il est islamiste. La mauvaise nouvelle, déjà, c’est qu’il n’a pas le bac. Cet homme a tout sauf le bac.

On peut donc se poser déjà quelques questions: comment a-t-il gravi les échelons sociaux, économiques, politiques, voire religieux, sans disposer du précieux sésame du bac?

Mais ce n’est pas si grave, dirions-nous, n’est-ce pas!

Parce que la bonne nouvelle, c’est que notre homme a fini par se présenter au bac, peut-être pour réparer cette anomalie ou s’ouvrir le chemin vers d’autres succès. Ça veut dire qu’il a du courage et qu’il est «endurant», c’est quelqu’un qui ne renonce jamais.

Mais, au final, ça a été peut-être plus fort que lui: le jour de l’examen, il a succombé et il a triché!

Alors tout s’écroule. Parce que la question devient: pourquoi et depuis quand triche-t-il ? Seulement au bac ou ailleurs, pour réussir en politique, en affaires…et en exemplarité islamique?

Et, in fine, qu’est-ce qui compte au juste: être honnête et rater sa vie ou réussir partout après avoir triché?

Cette affaire lamentable peut être couplée avec une autre, tout à l’opposé. Cette fois à Tanger, une femme de 70 ans a décidé de passer le bac. La grand-mère a toujours eu cette frustration, ce rêve ; donc elle retente le coup, pour la énième fois. Elle n’a pas triché mais on ne sait pas encore si elle décrochera enfin le précieux sésame…

Voilà deux exemples a priori contradictoires mais qui nous montrent combien le bac continue de fasciner dans le monde d’aujourd’hui. Même s’il a été dévalorisé au fil du temps, surtout depuis que le nombre de bacheliers a été multiplié par deux, dix, cent, mille.

Je vais vous raconter une petite histoire étonnante, qui réunit à la fois le prestige du bac et notre incroyable et finalement irrésistible sens de la triche. C’était dans le début des années 1980, époque bénie, magnifique, que l’on appelle aujourd’hui pourtant «les années de plomb».

C’est surtout l’époque où les listes des lauréats du bac, qui n’étaient pas très nombreux, étaient publiées tous les ans dans les grands journaux marocains.

Il y avait cet homme, riche, très riche, connu et respecté, mais pourtant analphabète. Il a reporté ses ambitions et ses frustrations sur son fils. Alors il l’a poussé, poussé, soudoyant autant que possible et d’année en année ses enseignants, ses directeurs, ses proviseurs. Jusqu’au bac: là, c’était impossible.

Le fils médiocre a raté son examen une première fois, puis une deuxième. Alors le père, qui a essayé par tous les moyens «d’acheter le bac pour son fils» sans y arriver, a fini par tenter autre chose. Il a soudoyé un journaliste…pour glisser le nom de son fils dans la liste des nouveaux bacheliers.

Et ça a marché!

Le père a fait la fête, même le fils y a cru, le temps d’une soirée.

C’est un vieux confrère qui m’a raconté cette histoire. Je lui ai demandé: «Je ne comprends pas ce père tricheur et corrupteur, qu’est-ce qu’il a gagné à payer pour publier une fausse information?». Réponse: «Le prestige et la fierté de voir son nom écrit sur un journal!».

Le journal a publié par la suite un errata pour expliquer que des coquilles ont pu se glisser dans la liste des bacheliers, à cause de l’existence d’un certain nombre d’homonymes…et de quelques fautes de frappe, bien sûr! Fin de l’histoire.

Par Karim Boukhari
Le 15/06/2019 à 16h58