Les Marocains qui refusent le confinement ne sont pas un tissu homogène. C’est une mosaïque. Certains refusent de rentrer chez eux parce qu’ils ne peuvent pas. D’autres refusent de le faire parce qu’ils ont une autre manière de «penser» ce qui nous arrive depuis ce que vous savez.
Le Covid-19 met à nu des réalités que la bonne société marocaine ne veut pas ou ne sait pas voir. On dit que comprendre, c’est compatir, c’est pardonner.
Pourquoi pas, du moment que ça aide à faire passer la pilule.
La majorité des Marocains vivent dans des quartiers populaires, des faubourgs. Ils habitent des espaces exigus où les uns s’entassent à côté des autres. Ils n’ont guère d’intimité.
Ils évoluent comme les pions sur un damier. Pour que quelqu’un puisse faire sa toilette ou disposer d’un peu d’espace, il faut que l’autre sorte. C’est là, et là seulement, qu’il peut avancer son pion.
Comme dans un film célèbre des Marx Brothers, «Une nuit à l’opéra», la maison/cabine est tellement pleine (parce que tellement petite) qu’il suffit d’en rajouter un pour que tout le monde s’écroule et se retrouve dehors.
Alors voilà. La «maison» familiale est un dortoir, c’est un toit, rien d’autre. Le seul moment où ils se retrouvent ensemble, c’est pour dormir. Au réveil, dès les premières lueurs de l’aube, ils se dispersent dans la rue. La porte de la maison, une fois ouverte, ne se referme jamais.
Parce que tout le monde veut respirer après une nuit d’étouffement. Même la grand-mère infirme pose un petit tabouret au seuil de la porte, un pied dans la rue. Comme ça, elle peut faire du tberguig en observant «ceux qui passent et ceux qui repassent».
Ceux qui refusent aujourd’hui de se confiner, sont surtout ces jeunes qui vivent dans la rue et rentrent uniquement pour dormir. La rue est leur maison. C’est leur respiration. Elle leur fournit tout. C’est là qu’ils se débrouillent quelques dirhams, par tous les moyens possibles et imaginables, même le larcin.
C’est dans la rue qu’ils « socialisent », qu’ils vivent tout court. C’est là qu’ils fument. Qu’ils rient. Qu’ils avalent du mauvais alcool et avalent des pilules. Qu’ils apprennent et exercent les choses de la vie, leur vie.
Il n’y a rien à juger, c’est leur quotidien, leur vie.
C’est dans la rue qu’ils sont connectés, à l’Internet et à la vie tout court. C’est dans la rue qu’ils existent, qu’ils sont conscients de l’individu qu’ils portent en eux, et qu’ils essaient de répondre à ses besoins, ses envies. Et à ses rêves, oui.
Parce que ce n’est pas parce qu’on est pauvre, ou qu’on squatte dans les coins de rue, que l’on ne rêve pas.
Confiner tous ces gens à la maison, c’est les tuer. Ils le savent. Le confinement, c’est pire que la réclusion. C’est un pourrissement. En cellule, au moins, ils peuvent fumer, hurler, avoir le sentiment d’exister. Rien de tel dans le confinement. C’est pour cela qu’ils n’en veulent pas. Mais il le faut, il n’y a rien à faire.
Il faut les comprendre pour mieux leur expliquer. Expliquer quoi? Qu’il vaut mieux se confiner dans une cabine à plusieurs que mourir dans la rue.
La semaine prochaine, on fera un petit tour avec ceux qui refusent de se confiner parce qu’ils «pensent autrement» tout ce qui est en train de nous arriver.
D’ici là, restez confinés et tout ira bien.