Il était une fois une petite fille du peuple, pur produit du Maroc d’en bas. Mal née et mal aimée, elle affronte l’hostilité de sa famille dominée par la figure d’un père tyrannique, et la férocité d’une société phallique qui ne laisse aucun répit aux plus faibles. C’est d’autant plus dur que la jeune fille est le produit d’une grossesse non désirée. Cela lui fait un problème de plus, un nouvel obstacle à franchir. Rejetée par tout le monde, à commencer par les siens, elle va pourtant relever la tête et gagner sa liberté. Chassée de chez elle comme une malpropre, elle devient célèbre dans le monde et en profite pour prendre la parole et dire ce qu’elle a sur le cœur. Et dans la tête aussi.
L’autobiographie de Loubna Abidar ne se lit pas comme un objet d’art mais comme un roman de gare. Ce n’est pas péjoratif du tout. En littérature, les genres sont multiples et les plaisirs aussi. Et il n’y a pas plus de genre mineur que de plaisir coupable. Avec La dangereuse, il me semble que l’idée n’est pas de gagner le Goncourt ou le Flore mais de toucher les masses. Grosso modo, Loubna reste dans son personnage, celui qu’on lui connaît depuis Much loved, une femme forte et prête à tout pour réussir.
Quand on lit une autobiographie, on ne se pose qu’une question au final: est-il, est-elle sincère? Alors, Loubna est-elle sincère? Chacun se fera son idée après avoir refermé ce livre, qui a aussi l’avantage de se lire vite.
Ce qui est sûr, c’est que la jeune femme règle des comptes. Avec une partie d’elle-même, c'est-à-dire avec la société qui l’a vue naître et l’a élevée à la dure avant de la jeter comme une mouche morte. C’est ce côté sombre de l’entreprise qui fait son charme. Et ses limites aussi.
Bien entendu, on peut voir ce livre comme un nouvel avatar merchandising de la «machine» Abidar. Voyons, elle a fait scandale au Maroc? Elle est devenue un petit phénomène qui écume les plateaux de télévision? Son film est toujours en exploitation dans les salles? Autant en profiter et presser le citron pour sortir, vite, vite, un livre aussi.
Mais bien sûr qu’il y a ce côté marketing et tout le cirque qui entoure Loubna Abidar et empêche désormais quiconque d’approcher la femme derrière le personnage. C’est le revers de la médaille. Il faut vite s’en accommoder et passer à autre chose.
Parce qu’il y a autre chose. Il y a forcément autre chose.
Ce livre de rien du tout, comme diraient ses détracteurs, ce citron pressé par les marketteurs et les agents littéraires contient quelque chose d’essentiel: une prise de parole. Loubna Abidar brise une longue tradition marocaine, celle du «sois belle ou sois artiste et tais-toi». Cette parole confisquée par les plus grands, les plus savants, les beaux parleurs, ceux qui savent et qui ont autorité pour dire, eh bien Loubna s’en est emparée. Elle n’est pas près de la lâcher. Elle a quelque chose à dire, alors elle le dit. Avec des mots et des idées qui heurtent la norme et les codes de la bien-pensance.
C’est cela, au fond, qui déplaît tant à ses détracteurs. Tant pis pour eux, ils peuvent se boucher les oreilles.