Il y a quelques jours, la célébration de l’Achoura a donné lieu à des débordements très inquiétants. De quoi ces images terribles qui ont électrisé nos téléphones sont-elles annonciatrices?
Achoura est un rendez-vous annuel dont tout le monde a oublié l’histoire et la signification. Tout ce qu’on sait, c’est que c’est le jour où l’on entend exploser des pétards, avec des gamins survoltés à tous les coins de rue. Une «fête» pour les gamins, donc, et un moment de grand n’importe quoi, difficile à supporter pour les autres.
Cette année, la fête des pétards n’a pas eu lieu... ou presque. Les autorités marocaines l’ont interdite dans plusieurs villes du royaume. Le message subliminal adressé à tous les gamins en feu: «Le Covid-19 rôde, rangez vos explosifs et restez chez vous!».
Mais les gamins sont quand même sortis dans plusieurs villes, et ils ont lancé leurs explosifs jusqu’aux premières heures de l’aube. Certains sont allés plus loin, brûlant des voitures et se livrant à d’incroyables actes de vandalisme. Pour une fête clandestine, elle était pour le moins spectaculaire.
Comment lire cet évènement?
Bien sûr, il faut rappeler que l’Achoura a toujours été un défouloir/exutoire avec des scènes quasi insurrectionnelles. Une parenthèse que la bonne société feint d’ignorer. Ce n’est pas nouveau. Ceux qui connaissent la rue marocaine ont souvent voulu interdire la célébration. On leur répondait: comment pourrions-nous interdire une fête «religieuse». Religieuse, vraiment?
La non-interdiction reposait plutôt sur d’autres motifs, qui n’avaient rien à avoir avec le religieux. L’idée était de «laisser les gamins se défouler, un jour ou deux sur toute une année, ce n’est pas cher payé». Ce n’est pas seulement les pétards que les gamins faisaient exploser mais leurs frustrations, leurs colères.
Le jeu d’enfants semblait être un mal nécessaire, malgré ses débordements récurrents. Achoura était une aire d’explosion annuelle, sans dégâts majeurs finalement. Le Maroc offre d’autres «aires d’explosion» à sa jeunesse révoltée: les stades de football par exemple.
Cela peut paraître paradoxal mais ces aires d’explosion garantissent une sorte de paix, quand elles sont encadrées et canalisées. On ouvre les soupapes de la violence de temps en temps, pour avoir la paix le reste du temps.
Mais le Covid-19 est passé par là. Il menace tous ces équilibres fragiles, tous ces codes non écrits et qui, bon an mal an, faisaient avancer le Schmilblick. La peur du Covid-19 a fait oublier, dans un premier temps, les autres peurs. Au passage, le confinement a fait des ravages, fermant ces exutoires/défouloirs que sont la rue, le squat dans le derb, le stade de foot, etc.
La réduction des aires d’explosion, l’une après l’autre, est un risque. Fallait-il le courir?
Avant de répondre, il faudrait peut-être se poser une autre question: que combat-on au juste, la propagation du Covid-19 ou l’explosion de colère de la jeunesse et plus généralement des classes défavorisées? Est-il d’ailleurs possible et décent de séparer ces deux impératifs?
En répondant à ces questions, vous verrez qu’il valait sans doute mieux autoriser Achoura et interdire l'Aïd El Kébir. Et pas le contraire, malheureusement.