Bouchra Deau a lancé un pavé dans la mare avec son programme de télévision qui a créé un buzz énorme et extrêmement négatif. Pour ceux, certainement très rares, qui ne connaissent pas encore, je résume le concept : une journaliste reçoit une célébrité et lui assène des questions saugrenues, personnelles, intimes, totalement hors-sujet, sur un ton inquisitoire extrêmement agressif. Ça s’appelle «la taxe de la célébrité», l’idée est de coincer l’invité et de le faire payer. Il faut qu’il craque, qu’il pleure ou qu’il s’énerve et se lève pour quitter le plateau.
L’invité devient un punching ball, un sac de frappe. On ne lui laisse pas la possibilité de se défendre, on l’accable, on le frappe, on lui fait la morale, on le sermonne, on le met à genoux.
On a l’impression d’être dans un abattoir, un lieu d’exécution. L’image la plus juste est peut-être celle d’une arène : les questions sont des lances destinées à transpercer le corps des invités, qui pourraient être des taureaux qui se débattent sans pouvoir échapper à la mort…
Certaines de ces mises à mort ont atteint des sommets de vulgarité. Le passage de Doc Samad, un sexologue chroniqueur à la radio, «puait» l’homophobie à un point insoutenable. Une véritable honte.
Et que dire du passage de Aicha Chenna, Grande Dame, reconnue et respectée dans le monde entier, une femme formidable, au grand cœur, subissant ici des rafales de questions comme «Etiez-vous vierge le jour de votre mariage ?», « Etes-vous une vraie musulmane ?», tout cela insinuant au final que la présidente de Solidarité féminine, l’une des ONG les plus généreuses de ce pays, serait une sorte de mauvaise musulmane qui «marraine» le sexe hors-mariage.
Mon Dieu, quelle horreur!
Nous avons là un bel échantillon de médiocrité absolue et de grand n’importe quoi, n’obéissant à aucun garde-fou, présenté sous le label : «C’est ce que veut le public, c’est ce que veulent les Marocains». Il faut arrêter avec cette formule creuse, qui ouvre la porte à tous les dérapages.
A ce rythme, on va se retrouver avec une invitée féministe subissant des assauts comme : «Tu es divorcée ? Tu fumes ? Tu voyages seule ? Tu bois alors que c’est haram ? Tu penses à tes enfants abandonnés à ta mère ?».
On aura droit aussi à un militant d’avant-garde répondant à son tour à des questions comme : «Tu jeunes ? Tu fais ta prière ? Tu n’a pas honte de ne pas respecter les préceptes de l’islam ?».
C’est à cela que nous sommes désormais exposés. Je ne parle pas ici d’un cas isolé mais d’une tendance. L’émission de Bouchra Ddeau n’est pas la seule à solliciter la fibre la plus réactionnaire de la psychologie marocaine. D’autres animateurs, d’autres «experts», le font aussi et ils y excellent. En toute liberté. Je dirais même en toute «prospérité». Je vous invite à lire mes confrères de Yabiladi qui ont consacré un excellent article à la question.
Il faut lire ce texte pour réaliser, excusez-moi l’expression, le nombre de conneries monumentales que l’on envoie au «public», aux Marocains. C’est effrayant.
Bref, il y a quelque chose à faire, et en urgence.
Nous avons un champ audiovisuel qui épouse de plus en plus le point de vue le plus rétrograde de la société, qui encourage les préjugés et les croyances moyenâgeuses. Et qui devient une arme efficace pour lutter contre l’ouverture d’esprit, le droit à la différence, l’égalité femmes – hommes, le respect des minorités, la liberté religieuse, etc.
Pour résumer, une arme absolue contre le progrès et l’intelligence humaine !
C’est à peu près le point où on se trouve aujourd’hui. Il a fallu qu’une Bouchra Ddeau nous le rappelle à sa manière. Dans ce sens, nous pouvons lui dire merci !