Béni comme un jour de pluie

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ChroniqueJe connais des chrétiens marocains qui ont pleuré de joie, ce jour-là. Parce que le Pape et parce que la pluie.

Le 06/04/2019 à 16h27

Le pape François est venu au Maroc un jour de pluie. Au Maroc et dans toutes les sociétés anciennes, on continue de considérer la pluie comme une bénédiction. On dit d’ailleurs que les naissances, les mariages ou les affaires qui sont scellées un jour de pluie sont bénies.

Parce que la pluie, c’est-à-dire l’eau, est source de vie. Elle assure une bonne saison agricole, elle fertilise la terre et permet à ceux qui vivent sur terre de vivre en paix et en harmonie.

Tout cela pour dire que le Pape est arrivé dans un bon jour. Pour beaucoup de croyants, cette heureuse coïncidence, cette «grâce» est de son fait.

Je connais des chrétiens marocains qui ont pleuré de joie, ce jour-là. Parce que le Pape et parce que la pluie.

Quoi, des chrétiens marocains? Oui, vous avez bien lu.

On parle souvent des « chrétiens du Maroc » ou des «chrétiens au Maroc». Ces deux expressions sont comme les textes de loi: elles sont volontairement imprécises. Le législateur a toujours fait le choix, très politique, de graver des textes flous et «sans frontières» qui laissent de la place à l’effort d’interprétation, à l’ijtihad. C’est un choix politique parce que la loi est une chose figée censée organiser la vie de la communauté au fil du temps, qui est extrêmement mouvante.

A défaut de changer la loi, on change son interprétation et ses décrets d’application, on les fait évoluer, on les fait vivre pour épouser, à chaque fois, l’air du temps et répondre aux besoins changeants de la société.

C’est la raison pour laquelle on continue de parler des chrétiens au Maroc ou du Maroc, en omettant de parler directement des chrétiens marocains. «Au Maroc» et «du Maroc» laissent place au doute et à la liberté d’interprétation. C’est une marge dans laquelle il faisait bon vivre.

Quand ces expressions sont nées, l’idée était surtout d’inclure les étrangers, les Non Marocains, les invités de la terre marocaine en quelque sorte. 

Aujourd’hui, on y inclut aussi et surtout les chrétiens marocains. Sans le dire ouvertement.

Les chrétiens marocains sont hors-la-loi. Nés au Maroc ou de parents marocains, ils sont musulmans de par la loi. Musulmans-nés. Mais ils ont fait un autre choix de vie ou de confession. Le bon sens accepte cela et le comprend. Mais la loi ne le permet pas. Pas encore.

En attendant donc que la loi se mette à niveau, on utilise ces formulations volontairement imprécises et ambigües…

J’ai encore en mémoire les images du dernier pape venu au Maroc. C’était Jean Paul II et c’était l’année 1985. J’étais béni moi aussi puisque je venais de décrocher le Graal, le bac et le passeport, tout cela d’un coup. Je pouvais aller à la fac et voyager librement partout dans le monde. Je me considérais comme un grand…

Et le pape est venu et il a embrassé le sol du Maroc. C’est cela surtout que je retiens de ce moment extraordinaire, voulu par Hassan II, qui était alors en quête de symboles supranationaux…

Hassan II avait fait un geste éminemment politique, destiné avant tout au monde arabe et au monde tout court. 34 ans plus tard, son fils a fait un geste tourné avant tout vers les Marocains.

Comme d’autres, j’ai été touché et ému quand, recevant le pape François 1er, le roi a rappelé en substance qu’il n’était pas le commandeur de tous les musulmans mais de tous les Marocains. Les croyants et les non-croyants. Cela inclut les «hors-la-loi» que sont les chrétiens et les athées.

J’ai vibré quand les chants religieux musulmans, chrétiens et juifs ont été délicatement mélangés en une chorale qui est montée haut dans le ciel de Rabat. Ces images et ces sons resteront longtemps dans nos mémoires et dans nos cœurs.

C’est cela que l’histoire retiendra de ces journées bénies, où la pluie s’est mélangée aux larmes de joie versées par tous ces Marocains «hors-la-loi». Amen.

Par Karim Boukhari
Le 06/04/2019 à 16h27