J´avais 7 ans quand j´ai vu un vieux voisin se faire agresser. Je me souviens du regard frêle de Schlomo devant ses olives noires éparpillées au sol, son sac de plastique vide dans la main. Et l'éclat de rire nerveux des passants. Nous ne comprenions rien de la Guerre de Six Jours. Elle était loin, mais ses conséquences ont ravagé la sérénité des ruelles d'Asilah.
J’ai raconté l’incident à mon père. En réponse, il m´a conté le récit de deux sœurs. Une pieuse et une insouciante, n’ayant pour autre patrimoine qu’une petite maison. Un matin Messaouda, attirée par l’odeur d’un plat, raconte à la sœur pieuse qu´elle était enceinte et désirait un peu du tagine d´anchois. La fille pieuse lui claqua la porte au nez, en lui assenant le très peu religieux «Va-t’en, je ne veux pas de Juives chez moi».
Affligée, Messaouda pleure. Rentrant chez elle après une nuit de fête, la sœur insouciante rassure la voisine juive. Devant le refus de sa sœur et face à son dédain religieux, elle lui offre son héritage contre les anchois. La fille pieuse accepte. Quelques heures après, cette dernière rentre dans la chambre de la sœur. Elle n’y est plus. Sur son lit vide, deux colombes blanches jouent et l'air est empli par un parfum de musc et de myrrhe.
Mon enfance fut traversée par des mots. Mon ignorance se traduisait souvent par le rejet de ce que je considérais comme la pensée «primitive» des miens. «Chaque agneau se pend par sa propre patte», « Mimouna connait Dieu et Dieu connait Mimouna», «Dinn wa Dounya» «Dieu nous regarde», «Si tu vois quelqu´un boire du vin, pense qu´il a soif», «Si tu vois un homme clamer qu´il est Dieu, pense qu´il prie».
Je ne savais pas que pour mon éducation, mes parents m’inculquaient les valeurs de l´Islam qu´eux-mêmes ont héritées. C’était une éducation sereine et naturelle, qui a fait de moi l'homme que je suis.
Je suis musulman par choix, grâce aux valeurs de respect de la différence, transmises par une famille humble. Tout ce qui concerne la religion du pays qui m'a construit humainement m´intéresse et me préoccupe.
D´abord, je suis profondément sidéré par la prolifération de citoyens – dont je respecte profondément la foi – qui au nom de notre Islam à tous jugent, condamnent et excommunient d´autres Marocains qui pensent différemment et osent réfléchir ou agir en dehors de ce qu´ils pensent être la «seule vérité musulmane». Le plus grave est qu´ils sont convaincus qu’ils représentent «la vérité» et qu´en dehors de cette «vérité» il ne peut y avoir que le déluge.
Les efforts de faire du royaume du Maroc une référence de l´islam universel, devraient être accompagnés par une politique nationale organique. L´Etat doit mieux contrôler le discours de ces citoyens qui se veulent au-dessus de la loi au nom d´une religion appartenant à l´ensemble de notre Umma. Le Maroc, après le chemin parcouru et les nombreux sacrifices, ne doit pas permettre à la démocratie de tuer la démocratie.
Pour sa crédibilité, le royaume doit réduire la fracture séparant le discours de la réalité. Face à l´idéal noble de l´Islam universel qui fait partie de notre Histoire, s´est érigée une idéologie orthodoxe amère chapeautée par un discours et un activisme inquiétants. L´Etat, en protégeant la Constitution, protège la pluralité sociale et la royauté, son socle.
Il est difficile d´avancer sans une nouvelle pédagogie sociale, capable de transmettre une éthique de la fraternité et une éducation fondée sur les valeurs et les principes régulant notre vivre-ensemble. Le Maroc est un, unique et inséparable.