Y a-t-il quelqu’un pour défendre la Moudawana?

Karim Boukhari.

ChroniqueQui va porter cette réforme de la Moudawana et qui va l’incarner? Qui va la défendre? Qui va l’expliquer? Qui va la revendiquer? Qui va se l’approprier? Qui va s’en emparer et en faire une affaire personnelle? Qui va l’assumer?

Le 04/01/2025 à 09h00

Ceux qui me lisent, et plus encore ceux qui me connaissent, savent que je ne suis pas un très grand admirateur de la réforme de la Moudawana. Je la trouve timide. Je salue évidemment les avancées, arrachées de haute lutte, mais je considère qu’elles auraient dû et pu aller plus loin encore.

Et alors, dirions-nous?

Avec ses avancées et ses insuffisances, le projet a le mérite d’exister. Il témoigne des efforts du Maroc pour s’aligner ou se rapprocher des standards universels qui régissent les rapports entre les femmes et les hommes. Mais encore faut-il traduire cela en projets de lois. Et encore faut-il, surtout, inscrire l’esprit de ces réformes dans l’air du temps, et dans la tête des femmes et des hommes de ce pays. Et tout le problème est là.

Qui va porter ce projet et qui va l’incarner? Qui va le défendre? Qui va l’expliquer? Qui va le revendiquer? Qui va se l’approprier? Qui va s’en emparer et en faire une affaire personnelle? Qui va l’assumer?

Bien sûr, cette réforme de la Moudawana a surtout essayé de ménager la chèvre et le chou. Elle est sage et consensuelle. Elle représente une avancée, mais sans casser aucune ligne. Politiquement, c’est louable. Mais socialement, la ligne de démarcation est si faible qu’elle risque de se retrouver seule, abandonnée au milieu de la route.

Cette situation rappelle, toutes proportions gardées, le Plan d’intégration de la femme, il y a déjà un quart de siècle. À l’époque, Saïd Saâdi et la société civile nous avaient proposé un beau projet de société visant à réhabiliter la femme, pour le bien de la famille et de toute la société marocaine. Mais ceux qui avaient soutenu le projet étaient, déjà, très peu nombreux et surtout silencieux…

«Il ne faut pas laisser la réforme de la Moudawana se débrouiller toute seule. Elle a besoin d’être soutenue, défendue, revendiquée et, surtout, expliquée.»

Ceux qui ont suivi ces événements de près doivent s’en souvenir, et certainement avec beaucoup d’amertume. Dans son propre parti, pourtant progressiste, Saïd Saâdi a été désavoué ou presque. Il s’est retrouvé seul. On n’entendait plus que ses adversaires, pendant que ses partisans se taisaient.

Aujourd’hui encore, et alors que l’Histoire lui a (Dieu merci) donné raison, on se demande comment un tel beau projet a été si peu et si mal soutenu…

La réforme de la Moudawana risque de subir le même sort. Ses adversaires sont très bruyants, alors que ses partisans sont prudents et réservés. Les réseaux sociaux sont inondés de ces voix d’hommes, et surtout de femmes, qui s’indignent et qui ne comprennent pas. Ces voix occupent tout l’espace.

Les voix les plus bruyantes, pour ne pas dire les plus navrantes, viennent de femmes qui nous disent à leur manière: «Mais pourquoi voulez-vous que la femme soit l’égale de l’homme?». Ces mêmes voix occupaient déjà tout l’espace à l’époque du Plan d’intégration de la femme.

C’est la raison pour laquelle il ne faut pas laisser la réforme de la Moudawana se débrouiller toute seule. Elle a besoin d’être soutenue, défendue, revendiquée et, surtout, expliquée. Elle est imparfaite et incomplète, mais elle représente un mieux, un plus. Et il va bien falloir expliquer tout cela à une société travaillée par la peur du changement.

Par Karim Boukhari
Le 04/01/2025 à 09h00