Le dossier des visas Schengen délivrés aux Marocains par le gouvernement français refait surface. Dans un communiqué commun, en date du vendredi 10 février 2023, plusieurs acteurs de la société civile dénoncent «la discrimination et le traitement humiliant» par TLS Contact des demandeurs marocains de visas pour la France.
Pour ces acteurs associatifs, la décision concernant la réduction de 50% des visas Schengen au détriment des Marocains, prise par le gouvernement français depuis septembre 2021, semble ne pas changer d’un iota. Pourtant, rappellent-ils, la ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, avait annoncé, à l’occasion de son déplacement au Maroc, le dénouement positif de ce dossier.
«Je me réjouis que nous revenions à une pleine coopération consulaire. C’est important pour ramener les échanges humains entre nos deux pays au niveau reflétant l’imbrication profonde de nos deux sociétés. Ces échanges sont et resteront le socle de notre relation bilatérale, le moteur premier de son approfondissement continu», avait-elle déclaré à la presse marocaine le 15 décembre dernier.
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Une demande et moult dysfonctionnements
Moins de deux mois après cette annonce officielle, ces acteurs associatifs mettent en lumière plusieurs constats «accablants» concernant la gestion des demandes de visas pour la France.
Pour eux, le recours à des opérateurs privés (TLS Contact, NDLR) qui se substituent à l’administration française, tout en étant rémunérés par les postulants, est «une externalisation qui décharge l’administration française et fait peser sur le demandeur les carences de ce mode opératoire», souligne-t-on dans le communiqué.
Ces acteurs de la société civile soulignent, sur la même trame, que le paiement des frais de dossiers s’effectue lors du dépôt de la demande, au lieu d’être dû uniquement en cas de délivrance du visa. «Ainsi, que le visa soit accordé ou pas, le demandeur est tenu de payer ces frais, qui d’ailleurs ne sont pas remboursés en cas de rejet de la demande», ont-ils fait observer.
Et de poursuivre: «Les demandeurs sont dans ce cas, indûment taxés, sous prétexte que ces frais servent à l’étude des dossiers. Alors que les services externalisés perçoivent aussi des frais de traitement de dossiers».
Ils notent aussi que le coût du visa associé à des frais annexes (frais pour le service externalisé, frais de demande de rendez-vous, frais de réservation d’hôtel, frais de réservation de billets, frais d’assurance, etc.) reste «extrêmement prohibitif».
Dans la même lignée d’idée, ces acteurs de la société civile constatent que les vérifications «répétées et outrancières» des éléments fournis par les demandeurs et les demandeurs habitués sont «une humiliation supplémentaire pour l’immense majorité de celles et ceux qui en font les démarches».
Le document relève aussi l’inflation procédurale et la multiplication des catégories et sous-catégories organisées en «cas», ce qui «plombe les procédures de demande de visas, les rendant plus caduques, opaques et perméables à l’arnaque des services interposés pour le traitement des demandes».
Pour ces acteurs associatifs, les délais d’instruction restent extrêmement variables. Aussi, les délais d’attente pour l’obtention d’un rendez-vous de visa sont «interminables». Ceci «ouvre la voie aux courtiers spécialisés dans la médiation pour obtenir des rendez-vous en échange de sommes d’argent conséquentes», martèlent-ils.
Les signataires de ce communiqué font observer aussi des refus standards et pas assez justifiés des demandes de visas pour la France.
«Le formulaire type de motivation du refus de visa proposé dans le code communautaire des visas prévoit des cases à cocher, fixant les situations dans lesquelles un refus de visa peut être motivé. Toutefois, cette mesure n’empêche pas les services consulaires de faire preuve d’imagination pour faire entrer dans les cases des refus fondés sur des motifs autres que ceux qui sont limitativement fixés par le texte», s’indignent-ils.
Ils donnent ainsi l’exemple des refus de visas communiqués aux étudiants, travailleurs qualifiés et voyageurs d’affaires des milieux dirigeants répondant à toutes les conditions d’octroi des visas. «Certains refus ne mentionnent pas les voies et délais de recours, pourtant faisant partie des principales dispositions du Code communautaire des visas», soulignent-ils dans ce communiqué.
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«Un chantage humainement inacceptable»
Ces acteurs de la société civile rappellent, dans ce communiqué, que la décision du gouvernement français de réduire de 50% les visas Schengen octroyés aux Marocains a été prise sous prétexte que l’Etat marocain n’en fait pas assez en matière de rapatriement de ses ressortissants et des ressortissants des pays tiers ayant transité par son territoire.
Ils rapportent, dans ce même sens, la déclaration de Gabriel Attal, alors porte-parole du gouvernement français qui avait annoncé le 30 septembre 2021 qu’il s’agit d’«une décision drastique, c’est une décision inédite, mais c’est une décision rendue nécessaire par le fait que ces pays n’acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France».
Pour eux, le gouvernement français se livre à «une partie de chantage moralement et humainement inacceptable visant à plier les autorités marocaines devant les tentatives d’extorsion dans le cadre des Accords communautaires de réadmission (ACR)».
«Une punition inadmissible»
Ces acteurs associatifs qualifient cette mesure de «représailles régressives» et de «punition inadmissible» qui porte atteinte à un droit humain essentiel: la libre circulation des personnes.
Aussi, la brutalité de l’annonce démontre «l’obsession migratoire du Gouvernement français, prêt à toutes les pressions sur les migrants et sur leurs pays d’origine», martèlent-ils.
Cette «punition», en plus de concerner l’ensemble des citoyens marocains, nuit aussi aux activités des catégories qui ont le plus besoin de se mobiliser à l’international pour défendre leurs causes. Il s’agit notamment des militants des droits humains.
Le soutien déclaré de l’Union européenne (UE) et de ses États membres aux défenseurs et militants des droits humains «n’est pas compatible avec les politiques et pratiques actuelles de l’UE en matière de visas, car les défenseurs et militants des droits humains souffrent également de cette situation, qui entrave leur mobilité et de ce fait leur travail de réseautage international en faveur des causes humaines et planétaires».
Il s’agit aussi des artistes marocains qui ont eu du mal à obtenir des visas pour la France. En août 2022, le rappeur marocain El Grande Totto, l’artiste le plus écouté sur Spotify dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA), a vu sa tournée en Europe compromise par un refus de visa. Le 11 janvier 2022, la célèbre chanteuse marocaine Manal Benchlikha s’est dite «choquée» après le refus de son visa par la France, tonne-t-on dans le communiqué.
Et de souligner qu’au vu de la coopération culturelle, scientifique et technique entre les deux pays, qui s’inscrit dans le cadre des priorités définies par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) et des orientations établies lors des Rencontres de haut niveau entre Chefs des deux Gouvernements, «les refus de visas des artistes compromettent non seulement le droit à la mobilité, mais à la liberté d’expression et de partage entre les deux rives».
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TLS Contact pointé du doigt
On l’aura compris, en plus du «chantage» du gouvernement français, TLS Contact est aussi pointé par ces acteurs de la société civile. Pour eux, l’externalisation du traitement des dossiers des demandeurs de visas «ne garantit pas totalement la protection et la sécurité des données personnelles et en particulier des identifiants biométriques».
Il convient de rappeler sur ce point que la société TLS Contact a confirmé, après avoir été convoquée à ce sujet par la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP) le 6 janvier 2023, qu’un envoi régulier, toutes les cinq minutes, d’images extraites de caméras de vidéosurveillance se faisait vers deux institutions gouvernementales basées à l’étranger.
«Ces agissements enfreignent les dispositions de la loi 09-08 et posent de sérieuses questions quant au niveau de fiabilité et de sécurité de ce processus, ainsi que des garanties entourant la protection des données personnelles relatives aux demandeurs de visa», note-t-on dans le communiqué.
Et de poursuivre: «Si les demandeurs estiment que leurs droits ont été affectés à ce sujet, la plateforme TLS n’offre aucune communication autour de la procédure de réclamation auprès du délégué à la Protection des données ou d’autres autorités de contrôle».
Quid de la position de l’UE?
Étant donné qu’il s’agit de visas Schengen, donnant l’accès à l’ensemble du territoire des pays européens signataires de l’Accord de Schengen, en permettant aux autres États membres d’accorder des visas donnant le droit d’entrer aussi sur le territoire français, l’Europe est en mesure de se prononcer dans cette situation, expliquent les signataires du communiqué commun.
Si dans ses communications à propos du nouveau Pacte sur la migration et l’asile, la Commission européenne mentionne: «Un État membre peut également informer la Commission s’il est confronté à des problèmes pratiques importants et persistants dans le cadre de la coopération avec un pays tiers en matière de réadmission, ce qui déclenche une évaluation ad hoc. À l’issue d’une évaluation, la Commission peut proposer d’appliquer des mesures restrictives en matière de visas ou, en cas de bonne coopération, proposer des mesures favorables en la matière».
Tout en sachant que le projet de Pacte est toujours en discussion, la position européenne à ce sujet est à exprimer clairement et une lecture européenne de ces agissements de grosse cavalerie française sont également attendues en ce sens, précise le communiqué.
Les associations signataires, notamment l’institut Prometheus pour la démocratie et les droits humains, le Forum marocain des jeunes journalistes, la Ligue marocaine pour la défense des droits humains, l’association ADALA pour le droit à un procès équitable, le Mouvement Bawsala des initiatives citoyennes, le Médiateur pour la démocratie et les droits de l’Homme, les Jeunes femmes pour la démocratie et l’Instance nationale de la jeunesse et de la démocratie (16 Organisations de la jeunesse des partis politiques) demandent aux autorités françaises et aux pays européens de revenir sur ces «mesures déshonorantes».
Ils contestent aussi le climat de régression supplémentaire qui instaure des mesures de pression discriminatoires vis-à-vis des migrants et de leurs pays d’origine, en matière de demande de réadmission, tout en désapprouvant les agissements de harcèlement et d’adoption de mesures punitives en échange de réadmissions sous contraintes.