Franz-Olivier Giesbert (FOG) est un journaliste très connu et un personnage de la vie politique française. Brillant journaliste au Nouvel Observateur, il est passé au Figaro, au désespoir de Jean Daniel, qui voyait en lui un fils spirituel. Ensuite il a dirigé Le Point, hebdomadaire se situant plutôt à droite.
Certains le considèrent comme un traître, d’autres comme un esprit libre et indépendant. Il s’est beaucoup intéressé aux différents présidents de la Vème Répubique. Il a écrit sur Mitterrand, sur Chirac, sur Sarkozy, Hollande et l’actuel président. Sa plume est acerbe. Il fait rarement des compliments. Il vient de publier le troisième tome de son «Histoire intime de la Vème République, Tragédie française» (ed. Gallimard).
Il ne s’encombre pas de métaphores ou de litote. Pour lui, le constat est clair: «La France n’a certes pas encore touché le fond, mais elle s’est laissée aller, au point de ne plus maîtriser ni ses comptes publics ni ses flux migratoires. Sans oublier le délitement de l’autorité qui ronge nos âmes, notre industrie qui se défait, comme notre moral…»
Il se demande, dès les premières pages «que s’est-il passé?». Il cite Chateaubriand, qui écrivait en 1841 dans «Les Mémoires d’outre-tombe»: «Nous montrons de nombreux symptômes de décadence».
Certes La France est toujours vivante… mais dans quel état!
Il cite sa mère, qui faisait partie des «déçus de Mitterrand»: «C’est un cynique qui fait avec ce qu’il a pour préserver son pouvoir». Cynique, il l’a été. Après le suicide de son ancien premier ministre Bérégovoy, il dira à FOG: «Il ne faut pas le sous-estimer, il m’a été utile».
À l’époque, Mitterrand était entouré d’une cour de conseillers-admirateurs. Seul Hubert Védrine, fils de Jean, ami du chef de l’État, était au-dessus de la mêlée: «Observant de très haut le ballet des affolés du pouvoir, il est l’un des rares à ne pas participer au délire général, et il me semble à tant de coudées au-dessus des autres». FOG ajoute: «Je le verrai bien président dans vingt ans». On sait aujourd’hui qu’Hubert Védrine, qui travaille pour son compte, ne nourrit aucune ambition de ce genre. Il est resté lui-même, distant, intelligent et excellent observateur de la politique de son pays et du monde.
Ami, comme son père, originaire du Maroc, il a été très affecté par la crise entre la France et notre pays, et je sais qu’il a œuvré pour un dégel et une réconciliation qui est en train de se faire. Ajoutons à ce travail, l’action diplomatique subtile et efficace de l’actuel ambassadeur de France à Rabat, Christophe Lecourtier.
Quand FOG évoque Macron, il est impitoyable. Il cite à son propos une phrase de Voltaire: «La politique est le premier des arts et le dernier des métiers».
On sait que Macron n’avait pas d’expérience politique avant d’arriver à l’Élysée. De ce fait, il n’avait aucune idée de ce qui l’attendait. FOG écrit: «Il n’a pas non plus le sens de l’urgence. Personne n’est moins apte à gouverner que Narcisse qui passe toujours beaucoup de temps à se mirer dans l’eau pour y trouver le reflet de sa beauté». Il trouve que Macron est l’antithèse de Mitterrand, qui n’était pas narcissique, lui, mais égocentrique. Macron n’a besoin de personne, il se suffit à lui-même. FOG ajoute: «Sa solitude ne lui pèse jamais. (…) Le septième président de la cinquième méprise la moitié de l’humanité et il est jaloux de l’autre».
Ce troisième tome d’une saga digne d’une série télévisée s’achève sur une vision très pessimiste de la France et de son blocage actuel, avec une gauche réduite à une part insignifiante et une droite traditionnelle divisée et sans ampleur. Seule l’extrême droite semble résister et se présente comme étant le premier parti de France. Il rappelle la formule de Nietzsche: «L’Homme est une transition et un déclin». Notre devoir, nous dit FOG, est de «retarder sans cesse l’échéance». Les agonies sont toujours plus longues qu’on ne le croit. Et FOG nous prévient à la fin de son livre: «Macron n’est peut-être pas la dernière station du chemin de croix des Français». Il est évident qu’il pense à l’échéance 2027, à laquelle le parti de Marine Le Pen est donné largement favori pour accéder à l’Élysée. Épreuve qu’apparemment une majorité de Français souhaite. Ainsi l’avenir de cette France fragilisée par une politique sans rigueur, entre les mains d’un seul homme, est loin d’être radieux, à moins d’un sursaut de dernière minute, car l’extrême droite qui se prépare à exercer le pouvoir a su séduire et effacer de son discours un racisme pourtant fondateur de son idéologie telle qu’elle a été instaurée par le père de Marine, Jean-Marie Le Pen.
Nous restons, au Maroc, malgré tout, intéressés par ce qui se passe en France et nous suivons aussi bien les élucubrations de certains hommes politiques que les méandres d’une diplomatie qui change souvent de direction. Nombre de Marocains souhaitent à ce pays un prompt rétablissement et surtout un sursaut des forces démocratiques pour empêcher que l’extrême droite s’empare du pouvoir.