«Le Maroc vit une véritable guerre du sang. Les victimes sont innombrables. La pénurie de sang est un cataclysme». Un constat relevé par Khalil Hachimi Idrissi, dans l’édito de l’édition de ce mois de novembre du mensuel BAB, édité par l’Agence officielle MAP. Pour l’éditorialiste, le Centre national de transfusion sanguine et d’hématologie «est en cause». Rien ne marche, en effet, poursuit le directeur général de la MAP, ni dans les statuts, ni dans l’organisation et encore moins dans les performances et les ressources humaines de cette institution.
En cas d’affluence de donneurs, le CNTSH sera tout simplement dans l’impossibilité de traiter tous les dons. Ses capacités, poursuit l’éditorialiste, sont «infinitésimales» et ses moyens techniques et humains «inexistants». Résultat: la majeure partie de ces dons irait dans les égouts. En conséquence, «si le gouvernement n’est pas capable de réformer sérieusement cette filière, il vaut mieux penser à sa privatisation dans un cadre libéral», suggère l’éditorialiste. La situation est-elle si sinistrée? Une enquête menée par BAB montre qu’elle peut l’être parfois, mais pas souvent.
Le magazine donne ainsi l’exemple de ce jour du 28 octobre où plusieurs grandes villes affichaient moins de six jours de stock de sang. L’alerte jaune a été déclenchée et la situation s’est progressivement améliorée. Cela ne résout pas pour autant le problème. D’après l’enquête réalisée par le magazine, la situation s’aggrave pendant les périodes de vacances, de fête et de rentrée scolaire. Et quand bien même il y avait une offre importante, les centres de transfusion ne disposent pas des moyens techniques et humains à même de répondre à une forte demande. Le sang n’étant, par ailleurs, pas un «produit» qu’on peut stocker pendant très longuement, sauf pour certains dérivés qui peuvent être conservés pendant une année comme le plasma.
«Les ressources humaines et logistiques dont nous disposons ne nous permettent pas d’accompagner une offre pléthorique. Tout cela requiert un staff important de praticiens et techniciens qui nous font défaut pour le moment», avoue Mohamed Benajiba, directeur du CNTSH. La ville de Casablanca, par exemple, doit satisfaire la demande de 180 cliniques en plus de la demande de Khouribga, Settat, Berrechid et Mohammédia. Pour cela, la métropole économique devrait disposer d’au moins dix sites de collecte alors qu’elle n’en a que cinq. Pourtant, souligne le directeur du CNTSH, «au Maroc, on ne souffre pas d’un manque de donneurs. Les Marocains répondent présent aux appels lancés. A tel point que parfois, on se retrouve avec des quantités qui dépassent nos besoins».
C’est donc une problématique de gestion et, quelque part, de mentalité. Pour preuve, selon les chiffres avancés par Mohamed Benajiba en 2018, le CNTSH a réalisé 335.000 dons émanant de 290.000 personnes. «Si ces 290.000 personnes donnent ne serait-ce que deux fois par an, nous en serions a environ 590.000 dons annuels et la prévalence de dons par rapport à la population passerait de 0,8% à 2%». Il n’y aurait donc pas de problème. Or ce n’est pas le cas.
Et pour ne rien arranger, sur ces 290.000 donneurs, à peine 15% sont réguliers. Le reste, soit 85%, «donne une seule fois et ne revient plus». Dans les pays développés, c’est l’inverse, 95% des donneurs sont réguliers. Comment donc, avec si peu de moyens, le CNTSH gère-t-il cette rareté et avec le risque de pénurie?
Pour pouvoir mesurer la gravité de la situation, explique le directeur du CNTSH, trois niveaux d’alerte ont été instaurés. Le niveau vert quand le stock disponible est suffisant pour plus de 7 jours. C’est la période standard au sein des sites de collecte fixe et mobile. Quand le stock couvre moins de 7 jours, l’alerte jaune est lancée. «En plus des sites fixes et mobiles, on fait appel aux donneurs de sang via une base de données informatique qui conserve systématiquement les informations sur les donneurs en leur envoyant des SMS». L’alerte rouge est actionnée lorsque les stocks couvrent à peine trois jours. «La mobilisation totale est déclarée. Là, c’est une situation d’urgence. Tout le monde doit être impliqué». La société civile est fortement sollicitée, elle aussi, dans cette situation. Or cette dernière s’implique certes à fond, le cas d’Oujda est éloquent, mais les associations actives dans le domaine demandent, pour plus d’efficacité, d’être reconnues d’utilité publique.
Il faut dire, relève l’enquête réalisée par le magazine BAB, qu’il y a aussi un grand travail pédagogique à faire dans le domaine. A commencer par tordre le cou à certains préjugés malheureusement bien ancrés dans la société. C’est le cas de la supposée vente de sang. Le sang ne se vend pas et ne s’achète pas non plus, écrit BAB. «Il faut savoir que les 360 dirhams payés par les malades pour accéder aux poches ne couvrent même pas les analyses effectuées pour qualifier le sang, qui coûtent à elles seules plus de 2.500 dirhams et plus de 5.000 dirhams pour le sang phénotype», explique Sana Smaal, médecin au Centre de transfusion sanguine d’Oujda, citée par le magazine. Globalement, explique Mohamed Benajiba, le traitement des poches de sang collectées, de la phase du prélèvement à celle de la distribution, coûte entre 5 et 6 millions de dirhams par an.
Entre autres idées à combattre, donner son sang n’affecte pas la santé des donneurs. Au contraire, il permet, en plus de régénérer les cellules sanguines, de prévenir contre certaines maladies. De même que l’on peut parfaitement donner son sang jusqu’à six fois par an pour un homme et quatre fois pour une femme. En outre, on ne prend pas au donneur la quantité de sang qu’on désire. Le volume prélevé ne dépasse pas 480 ml, selon la corpulence du donneur, soit à peine 7% du volume global du sang d’un être humain.
Du côté du personnel des centres de transfusion sanguine, il y a également des idées à bannir. «Tout intervenant dans ce domaine doit comprendre que le donneur n’est pas un malade, mais un bénévole», affirme Mohamed Benajiba. «C’est bien nous qui avons besoin de lui et qui avons intérêt à le garder. Donc, s’il est malmené et s’il vit une mauvaise expérience le premier jour, il va réfléchir mille fois avant de revenir. Ce sera alors une perte et une mauvaise publicité pour nous», prévient-il.