Epouse de Taoufik Bouachrine, Asmae El Moussaoui a déposé le 23 mai dernier une plainte auprès du Conseil national des droits de l’Homme. Elle y dénonce tant les conditions de détention de son mari et que le peu de suivi dont son procès fait l’objet de la part du CNDH. Dans une lettre datée du 28 mai dernier, le CNDH apporte ses réponses, point par point.
S’il assure suivre de près le déroulement des différentes phases du procès, le CNDH affirme ne pas être en mesure d’exprimer une quelconque opinion. Et pour cause, «les normes de l’observation ne permettent au Conseil d’exprimer aucun point de vue en lien avec le déroulement du procès, tant au niveau de la forme qu’au niveau du fond, et ce, jusqu’à l’aboutissement de la procédure judiciaire», lit-on dans cette lettre. Cela étant, et à l’issue du procès, le Conseil élaborera un rapport sur le respect, ou non, des normes et sur les conditions du procès dans le cadre de cette affaire.
En attendant, le Conseil s’est rendu auprès de Bouachrine et s’est enquis de ses conditions de détention. Et c’est ainsi que le concerné a pu bénéficier d’une cellule individuelle, d'un régime tenant compte de son état de santé (ce que l'intéressé à reconnu) et recevoir journaux, publications et lettres. Sur recommandation du CNDH, il devra également se voir remettre feuilles et stylos, ainsi qu'un appareil pour mesurer son taux de sucre dans le sang. Bouachrine s’est néanmoins plaint du fait que certaines des lettres qu’il envoyait ne parvenaient pas à leurs destinataires et que le temps des visites familiales était (trop) limité. S’agissant du premier point, l’administration des prisons a seulement appliqué les dispositions juridiques en vigueur. Quant au second, un prolongement du temps des visites a été décidé, entre autres mesures.
Last but not the least, les accusations adressées à la défense des plaignantes et à une partie de la presse par l’épouse de Bouachrine. Là-dessus, le CNDH s’est déclaré incompétent.
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Voici le texte intégral de la lettre envoyée par le CNDH à Asmae El Moussaoui, épouse de Taoufik Bouachrine et dont la teaduction a été faite par nos soins:
Rabat: le 28 mai 2018
A l’attention de Madame Asmae El Moussaoui
Objet: concernant la plainte en date du 23 mai 2018 déposée par vos soins au bureau d’ordre le 24 mai 2018 à 12h50 et enregistrée sous le numéro 2318.
Madame,Le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a pris note de votre lettre citée en objet, et après avoir examiné son contenu, vous fait part des observations suivantes:
- Le CNDH a décidé d’observer le procès de M. Taoufik Bouachrine, et pour cela, il a mandaté un groupe d’observateurs qui a suivi et continue de suivre toutes les phases des audiences publiques tenues au Tribunal de première instance de Casablanca;
- A ce stade du procès, les normes de l’observation ne permettent au Conseil d’exprimer aucun point de vue en lien avec le déroulement du procès, tant au niveau de la forme qu’au niveau du fond, et ce, jusqu’à l’aboutissement de la procédure judiciaire. A l’issue du procès, le Conseil élaborera son rapport qui affirmera si le procès a respecté les normes et les conditions du procès équitable conformément aux dispositions de la Constitution et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en particulier son article 14.
- Concernant la situation de M. Taoufik Bouachrine incarcéré à la prison de Aïn Borja dans le cadre de la détention préventive, une équipe du CNDH a effectué une visite d’inspection le 25 avril 2018, et a pu le rencontrer et s’enquérir de ses conditions de détention. L’équipe du CNDH a rencontré aussi le directeur de la prison. A cet effet, nous souhaitons vous informer de ce qui suit:
Le régime d’isolement et l’emprisonnement individuel:Lors de la visite qui lui a été rendue, M. Taoufik Bouachrine a affirmé qu’il souhaitait rester dans une cellule individuelle et préférait ne pas se mêler au reste des détenus.
La nourriture:
M. Bouachrine a déclaré devant l’équipe du CNDH qu’il bénéficie d’un régime d’alimentation qui prend en considération son état de santé.
La communication avec le monde extérieur:- Concernant la réception des journaux et les publications : Selon les informations dont dispose le Conseil, la Délégation générale à l’administration pénitentiaire ne voit aucun inconvénient à l’introduction de journaux et de publications lors des visites familiales;
- M. Bouachrine a affirmé, lors de la visite de l’équipe du CNDH, qu’il reçoit toutes les lettres qui lui sont dûment adressées, mais qu’en revanche, les lettres qu’il adressait n’arrivaient pas dans leur totalité à leurs destinataires. Pour sa part, l’administration pénitentiaire affirme qu’elle est dans l’obligation d’appliquer les dispositions juridiques en vigueur, en particulier les articles 89-90-91-92-93-94 et 97 de la loi 23-98 relative à l’organisation et au fonctionnement des établissements pénitentiaires;
- M. Bouachrine a attiré l’attention sur la question du temps limité alloué aux visites familiales. A cet effet, le CNDH est intervenu auprès de l’administration pénitentiaire en vue d’un prolongement du temps des visites, laquelle a répondu favorablement à cette requête, ainsi qu’en vue de permettre au concerné de téléphoner à sa famille plus d’une fois par semaine et pendant une durée plus longue ;
- Il a été mis à la disposition de M. Bouachrine des feuilles et des stylos, et d’un appareil de mesure du taux de sucre dans le sang, suite à une recommandation du CNDH satisfaite par l’administration pénitentiaire.
Concernant les accusations adressées à la défense des plaignantes:Il convient de souligner que toutes les questions évoquées dans ce cadre figureront dans le rapport portant sur les différentes phases du procès qui sera publié par le CNDH.
Cependant, il est nécessaire de faire les éclaircissements suivants:- Gérer les audiences et veiller à leur bon déroulement, et le respect des garanties conférées aux différentes parties au procès sont des missions exclusives de la Cour;
- Les fautes professionnelles qui pourraient être commises par la défense, si elles sont avérées, relèvent des compétences des instances professionnelles concernées, en particulier le Barreau;
- En ce qui concerne les accusations d'intimidation et de diffamation attribuées à certains journalistes, ce sont les instances professionnelles des journalistes qui sont compétentes en matière de déontologie professionnelle, alors que l’autorité judiciaire est la partie compétente concernant le volet répressif;
- Enfin, le Conseil national des droits de l'Homme réaffirme qu'il continuera d'exercer pleinement ses prérogatives en toute impartialité, objectivité et professionnalisme.
Veuillez agréer l’expression de mes considérations les plus distinguées.