Mères célibataires: un drame ignoré, une honte collective

Soumaya Naamane Guessous.

Soumaya Naamane Guessous.

Avoir un enfant hors mariage reste un scandale social majeur. Tandis que la société ferme les yeux sur la responsabilité des hommes, des milliers de jeunes femmes et leurs enfants subissent stigmatisation et exclusion. Associations et acteurs de terrain alertent sur un phénomène qui ne cesse de croître.

Le 29/08/2025 à 11h14

Une femme enfante hors mariage? Immense scandale pour elle et sa famille. Un homme met une femme enceinte hors mariage? Aucun problème! Cette hypocrisie collective nourrit un drame silencieux.

J’aborde ce sujet sensible aujourd’hui parce que l’été, avec ses longues journées, ses voyages, ses rencontres et ses sorties, multiplie les occasions de relations sexuelles.

C’est la saison du retour des Marocains résidant à l’étranger et de l’afflux de touristes. Une exposition accrue des jeunes filles à des rapports non protégés. Neuf mois plus tard, avril et mai enregistrent un pic de naissances hors mariage et d’abandons de nourrissons, morts ou vivants.

L’âge moyen du premier mariage recule: 28 ans pour les femmes, 31 ans pour les hommes. Rester chaste aussi longtemps devient un véritable défi. Avec l’allongement des études, la transformation des modes de vie et l’influence des réseaux sociaux, les repères changent. Les relations amoureuses naissent plus tôt, le contact entre garçons et filles est facilité. Internet devient un lieu d’expérimentation: discussions, flirt, pornographie accessible en quelques clics.

Initiation sexuelle précoce, mais sans préparation, sans cadre, sans éducation sexuelle: on confond sensibilisation et incitation à la fornication.

L’État n’organise aucune campagne hormis la journée du Sida. Résultat: ignorance totale du corps, grossesses découvertes seulement au bout de 4 ou 5 mois, contraception méconnue. La pilule du lendemain qui empêche la fécondation jusqu’à 5 jours après un coït? Taboue, non connue, non médiatisée, parfois refusée en pharmacie aux jeunes femmes non mariées.

Les garçons sont encouragés à la virilité et aux expériences, les filles doivent rester vierges jusqu’au mariage.

Quand la grossesse survient, le drame s’accélère. Le partenaire disparaît, la famille réagit avec une dureté implacable. Rarement les parents assument. Beaucoup chassent leur fille, ou elle fuit par peur des représailles.

Les garçons ne sont pas éduqués à se protéger des infections sexuellement transmissibles, ni à être responsables dans une relation sexuelle. Pour eux, c’est l’affaire des filles.

Si une fille tombe enceinte, son partenaire disparait aussitôt. Si les parents de la fille rencontrent ceux du garçon, ils se font chasser: «Si vous aviez bien élevé votre fille, elle aurait conservé son honneur». «Qui nous dit que l’enfant est de notre fils. Si votre fille s’est donnée à lui, c’est qu’elle a eu d’autres partenaires».

L’homme, lui, reste le grand absent. Même condamné pour viol, il n’a aucune obligation de reconnaître l’enfant à sa sortie de prison.

Or, me direz-vous, aujourd’hui, la recherche ADN indique le père biologique. Mais cette possibilité n’est pas légale. Nous avons espéré sa légalisation dans la récente réforme du Code de la Famille.

Une solution qui aurait éradiqué les drames des enfants devant supporter toute leur vie d’être nés de père inconnu, même quand le père est connu. Cela aurait également obligé les hommes à prendre leur responsabilité dans un acte sexuel, car ils sauraient qu’ils ne peuvent échapper à la justice.

Ce vide alimente la tragédie des enfants sans filiation, exposés à des risques d’inceste.

Pour moi, le plus condamnable reste la réaction des familles, d’une dureté implacable. Très peu accompagnent leur fille dans ce moment d’extrême détresse.

La psychose du regard des autres, du qu’en-dira-t-on, pèsent plus que la miséricorde. Un père ayant chassé sa fille enceinte, me dit en pleurant, lorsque j’ai évoqué avec lui la clémence divine: «Dieu pardonne, mais jamais la société».

De quel honneur une famille peut-elle se prévaloir quand elle abandonne ses enfants et ses petits-enfants à la rue? L’honneur se mesure à la capacité de rejeter plutôt qu’à protéger…

L’honneur véritable c’est éduquer, protéger, donner une chance à ses enfants de se rattraper même quand ils ont commis le pire.

Les parents ayant le sens de l’honneur apprennent à leurs enfants que, en cas de problème, ils doivent immédiatement aller vers eux.

Les parents doivent être le premier refuge et non les premiers juges.

Quelques ONG comme Solidarité Féminine et Insaf se battent avec des moyens limités pour soutenir les mères célibataires et plaider pour des réformes.

Des damnées de la société. En plus de la stigmatisation sociale, de l’exclusion familiale, elles sont confrontées à de lourdes conséquences. Rejetées par leur famille, privées de soutien du père de l’enfant et sans emploi stable, elles se retrouvent dans une situation économique extrêmement difficile. Beaucoup s’adonnent occasionnellement à la prostitution de lait, pour nourrir leur enfant, avant de sombrer totalement dans la prostitution.

Face à ces difficultés, des mères abandonnent leur enfant dans des orphelinats ou des lieux publics. Difficile d’en donner le chiffre exact. Il varie selon la source, à partir de 6.000 par an.

Ces enfants, innocents, nés de mères vulnérables, seront des adultes vulnérables.

La question des mères célibataires n’est pas un simple problème moral. C’est un enjeu social, éducatif et juridique. Tant que le Maroc ne développera pas une véritable éducation sexuelle, tant que les familles des jeunes filles et des jeunes hommes et les pères biologiques continueront à fuir leurs responsabilités, tant que la loi continuera à faire porter tout le poids sur les femmes et leurs enfants, le phénomène ne fera que s’aggraver.

L’honneur d’une nation, c’est garantir des droits et une dignité à tous ses citoyens, surtout les plus vulnérables.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 29/08/2025 à 11h14