En suivant les élections américaines qui se sont soldées par la victoire de Donald Trump sur Kamala Harris, un constat s’impose, aux États-Unis aussi, le féminisme traverse des heures sombres.
Constater qu’en 2024, au sein de la première puissance mondiale, le droit à l’avortement est l’un des principaux points de discorde entre les deux candidats, représentatifs de deux Amériques, a de quoi inquiéter. Si la régression est en marche depuis le 24 juin 2022, jour où la Cour suprême des Etats-Unis a annulé l’arrêt fédéral Roe vs Wade qui garantissait depuis 1973 le droit d’avorter sur tout le territoire, laissant ainsi à chaque Etat la liberté de déterminer sa propre politique sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, le résultat de ces élections scellent un peu plus le sort des femmes concernées.
Ainsi donc aux États-Unis, pas plus que dans nos sociétés orientales musulmanes, souvent pointées du doigt pour leurs lois liberticides à l’égard de la gente féminine, les femmes ne peuvent disposer de leur corps comme elles l’entendent. Elles peuvent s’habiller comme elles veulent, elles peuvent vivre leur sexualité, travailler, conduire, voter, divorcer, se pacser sans pour autant disposer véritablement de leur corps.
Les États-Unis ont toujours incarné un certain modèle pour beaucoup d’entre nous, un Eldorado qui nous faisait rêver, la patrie de tous les possibles, the «land of freedom» comme ils disent, mais aussi un pays où naissent de nombreuses grandes tendances… Cette régression en matière de droits des femmes prend donc des proportions gigantesques en ce qu’elle donne le ton d’un état d’esprit qui tend à se répandre, y compris chez les femmes, et porte un coup dur aux combats féministes à travers le monde.
Sur les réseaux sociaux américains, l’une des tendances phares prône ainsi le retour de l’esprit des années 50 avec le phénomène des «tradwives», les épouses traditionnelles. Tirées à quatre épingles, impeccablement maquillées, mères de famille hors pair, épouses dévouées, cuisinières de talent, elles se mettent en scène sur les réseaux sociaux en empruntant l’esthétique des publicités des fifties et revendiquent le retour de la femme à sa place naturelle, c’est-à-dire derrière les fourneaux. Les «tradwives» se revendiquent «féminines, mais pas féministes» car à leurs yeux, le féminisme est à l’origine de la charge mentale sous laquelle plient les femmes d’aujourd’hui. Pour elles, l’émancipation est à bannir, car une femme appartient à son conjoint. La déculottée de Kamala Harris, elles en sont en partie responsables, elles qui ont épousé la pensée politique des évangélistes et de l’ultra droite américaine en prenant pour slogan: «Make Traditional Housewives Great Again», c’est-à-dire «rendre leur grandeur aux femmes au foyer».
Pendant ce temps-là, de l’autre côté du globe, les Afghanes sont invisibilisées chaque jour un peu plus. Elles ne peuvent plus étudier au-delà du primaire, aller dans les parcs, les salles de sport, les salons de beauté… Elles ne peuvent plus ni chanter ni déclamer de la poésie. Pourquoi comparer ces deux extrêmes? Parce qu’il n’y a pas si longtemps, dans les années 1960, l’Afghanistan était un pays où les femmes disposaient de droits elles aussi. Elles étudiaient, votaient, travaillaient, portaient même la mini-jupe. Et que dire de l’Iran, ce pays dont la mythologie consacrait l’égalité entre hommes et femmes, où une jeune femme a bravé la foule en arpentant en sous-vêtements le parvis de son université, au péril de sa vie… Un geste de rébellion incroyable dans ce pays où les femmes sont les premières victimes du régime des mollahs.
À travers le prisme des médias occidentaux, on a souvent tendance à associer les manquements aux droits des femmes aux pays orientaux, aux sociétés musulmanes. Cette piqûre de rappel américaine s’avère utile en ce qu’elle rappelle au monde que l’extrémisme religieux n’a pas de couleur, ni de genre, ni d’identité particulière et que les droits des femmes seront toujours sujets à débat dans un monde où la politique demeure la propriété quasi exclusive des hommes. Et à en croire les millions d’Américains qui ont voté pour Trump parce que c’est un homme, et pour qui l’idée de nommer une femme à la Maison Blanche est impensable, les choses ne sont pas prêtes de changer.