Autour de moi, les discussions s’enflamment. Les avis s’entrechoquent, souvent contradictoires, toujours étonnamment argumentés. On s’interroge, on tâtonne, on cherche à comprendre l’incompréhensible. Car ici, rien ne ressemble à ce que l’on connaît. Rien ne suit la logique habituelle. Alors les questions, parfois naïves, parfois suspicieuses, pleuvent: comment se fait-il que ci? Pourquoi cela? Qui savait quoi? Y a-t-il anguille sous roche?
Il faut dire que le décor a tout pour nourrir la légende: un complexe touristique affublé d’un surnom fascinant (le Kremlin, donc), un promoteur jeune et assez décontracté, une superficie assez impressionnante (on parle de 15.000 mètres carrés), et des pertes très lourdes (le promoteur parle d’un investissement de 160 millions de dirhams partis envolés en un claquement de doigts ou presque). De quoi attiser l’imagination collective.
Alors chacun élabore sa propre théorie. Certains s’étonnent de voir un promoteur perdre seize milliards et rester imperturbable face aux caméras. D’autres s’interrogent sur la rapidité fulgurante avec laquelle les autorités ont ordonné la démolition, rasant un chantier qui avait pourtant prospéré sous leurs yeux pendant des années. On cherche des signes, des indices, des non-dits. On soupçonne quelque chose qui dépasse la simple application de la loi.
«Que nous cache-t-on?». Voilà, c’est prononcé. Après l’étonnement, voici la paranoïa douce, presque ludique, qui s’installe comme une suite logique de l’incrédulité générale. Et soudain, tout le monde se découvre une âme d’analyste politique.
Un homme passe en boucle l’interview du promoteur. Il n’en revient pas: «Moi, dit-il, si on me rase un bidet qui ne vaut rien, si je perds mille dirhams au Loto, si les impôts m’appellent, je me roule par terre et je m’arrache les cheveux! Mais lui, comment peut-il rester zen alors que seize milliards s’effondrent sous ses yeux?».
Un autre, plus sérieux, s’étonne que les autorités aient laissé faire, plusieurs années durant, avant de sévir brutalement. Bien sûr, concède-t-il, il n’est jamais trop tard pour appliquer la loi. Mais où est la vérité? Qui a signé les autorisations? Qui a fermé les yeux, durant tout ce temps?
La saga du Kremlin continuera de se raconter, de s’amplifier, de se déformer. Elle révèle moins un scandale urbanistique qu’un paysage mental: celui d’une société qui ne croit plus vraiment aux hasards administratifs, qui redoute les zones d’ombre, et qui cherche désespérément à combler le vide par toutes sortes de récits.





