Je me promenais lundi dernier dans une ville chère à mon cœur– mais dont je ne dévoilerai pas le nom, pour des raisons évidentes– lorsque je fus cueilli à froid par un spectacle désolant.
J’étais entré dans un jardin public pour chercher un peu de fraîcheur en cette journée d’intense chaleur. De loin, ledit jardin faisait illusion. On ne voyait que la cime des arbres et un mur d’enceinte couvert de graffitis colorés que l’ami M. aurait baptisé street art séance tenante. Mais de près…
De près, c’était la désolation. Le sol était couvert de débris divers (des tessons de bouteilles, entre autres) et semblait pris de convulsions tant il ondulait sous le soleil implacable. Les mauvaises herbes et les ronces proliféraient partout, formant un enchevêtrement dans lequel des morceaux de plastique gris ou noirs (arte povera, aurait clamé M.) s’étaient pris comme dans les rets du malheur et avaient ainsi entamé une agonie qui durera des milliers d’années. Les bancs étaient si sales et dégradés qu’il était impossible de s’y asseoir– est-ce un jardin public si on ne peut s’y asseoir?
Plus triste encore, les terrains de sport qui en occupaient une partie ressemblaient à des no man’s land de la Grande Guerre. De gros trous dans lesquels croupissait l’eau nauséabonde d’une tuyauterie crevée semblaient être autant de cratères d’obus– nous ne sommes tout de même pas en guerre, non? Il ne manquait que les fils de fer barbelés. Instinctivement, je cherchai des yeux les lignes de tranchées ennemies. Je crus entendre la grosse Bertha tonner au loin.
«Je n’eus aucun mal à imaginer la cérémonie d’inauguration du parc, quelques années auparavant, les beaux discours des édiles, un ruban rouge coupé par une ancienne gloire locale, un compliment récité par une écolière rosissante, un article dithyrambique publié dans la presse locale…»
— Fouad Laroui
Dans ce paysage lunaire jonché de souches d’arbres et d’ordures ménagères, je n’eus aucun mal à imaginer la cérémonie d’inauguration du parc, quelques années auparavant, les beaux discours des édiles, un ruban rouge coupé par une ancienne gloire locale, un compliment récité par une écolière rosissante, un article dithyrambique publié dans la presse locale…
Et maintenant? Que reste-t-il de tout cela? Rien. Une morne étendue à l’abandon, où le temps s’est arrêté, découragé, défait; l’odeur fétide d’une végétation vaincue qui se décompose; les vestiges honteux d’aménagements oubliés.
Autant dire que j’ai vite renoncé à ma promenade. Je suis retourné chez moi nourrir mon chat.
Le soir venu, dans un café, je fis part de ma déconvenue à mon collègue H. R. qui comprend mieux que moi ce qui se passe dans notre beau pays. Il se mit à rire, d’un rire sans joie.
- C’est pourtant simple. L’État, par le biais d’une de ses agences, a financé ce beau parc, puis il l’a confié au Conseil municipal. Les édiles locaux ont assisté à l’inauguration, en accoutrement watani, pour être sur la photo. Ensuite, ils s’en sont désintéressés, sous prétexte qu’ils manquent de fonds pour l’entretenir. C’est un classique!
À vrai dire, je ne sais pas si c’est aussi simple que cela. Mais puisque nous sommes en période pré-électorale, je voudrais proposer aux partis sérieux– il doit bien y en avoir quelques-uns– d’inscrire dans leur programme cette proposition de loi: «On n’inaugure que si on a les moyens d’entretenir.»
Ce n’est pas compliqué, non?





