"Ce livre raconte l’histoire prémonitoire d’une chute annoncée. La fin brutale d’un règne mais aussi très probablement celle d’une dynastie fondée au siècle de Louis XIV". Ainsi commence le troisième livre d’Ali Amar, intitulé "Le crépuscule d’un roi" et dont la sortie aux éditions Calmann-Lévy est prévue pour les premiers mois de l'année 2014. Dans les 250 pages du livre, Ali Amar prédit la fin du règne du roi Mohammed VI et la chute de la monarchie alaouite. Tout au long de son livre, Amar accomplit des prédictions sur un ton impérativement performatif. Amar se garde bien de nous dire quel oracle il a consulté pour écrire son livre, mais il nous sert ses prophéties comme des faits inéluctables. Exemple : "La grande surprise que connaît le monde arabe viendra du Maroc où contrairement aux apparences, la monarchie alaouite est en déclin. Et sa fin risque d’être tragique, plongeant le pays dans un terrible chaos dont personne ne semble encore y croire, ni mesurer les conséquences pour les décennies à venir". Les phrases apocalyptiques de ce genre sont légion. A la lecture du livre, tout lecteur marocain n’aura qu’une envie : se cacher, verrouiller portes et fenêtres ou courir vers l’Atlas chercher refuge au sommet d’une montagne, car Ali Amar prédit la peste, le choléra, la plaie de la mer, la plaie des fleuves et le déluge sur le Maroc. Et il ne craint pas le ridicule dans son numéro à nous faire peur.
Prédicateur de malheur
On connaissait à Ali Amar beaucoup de qualités et on le savait capable de nombreux tours comme enrichir par la seule grâce d’un autographe un négociant espagnol de la somme de 100 millions de dollars (voir portrait). Mais on ignorait l’étendue de son talent et son aisance à jouer le rôle d’une Cassandre, d’un Nostradamus et autres prédicateurs de malheur. Car on découvre dans ce livre un Ali Amar qui a la capacité de lire l’avenir et de débiter des oracles. On lui découvre aussi un don insoupçonné de théâtralisation. En plus du titre du livre, sorti tout droit d’un opéra de Wagner, Ali Amar cherche des accents et des trémolos tragiques dans l’espoir de nous donner la mesure de la gravité de la situation : "le décor de la tragédie qui se noue est déjà planté. Une situation politique et économique des plus critiques, une société déboussolée, des décideurs-voyous. Telle est la réalité explosive du Maroc après quinze années de règne de Mohammed VI", écrit-il. C’est davantage digne d’un cabotin que d’un essayiste. Car il faut oublier l’essai journalistique, genre auquel est censé appartenir ce livre qui en viole les règles et les fondements à chaque phrase.
Il est surprenant de la part d’une personne qui se proclame journaliste d’oublier le factuel, les faits et rien que les faits, pour se plonger dans l’imaginaire et la voyance. A défaut de trouver dans le réel des arguments, à défaut de mener les investigations propres à l’essai journalistique, Ali Amar fait dans la science-fiction. Et quand il essaie d’argumenter, c’est encore pire que quand il joue aux devins. Illustration : dans la première phrase de son livre, Ali Amar prédit la chute de la monarchie. Dans la deuxième phrase de ce même livre, il écrit : "Ce constat terrible paraîtra injustifié pour ceux qui vivent dans l’insouciance et l’aveuglement". Depuis quand une prédiction est-elle un constat ? Depuis quand cherche-t-on à hausser au rang de constat une fausse prophétie ? Depuis quand tient-on ce que l’on veut ardemment qu’il se produise pour un constat à partir duquel on essaie de construire un cheminement discursif ? Ce tour de passe-passe, tendant à faire admettre au lecteur ce qui n’est pas pour ce qui est, est la démarche qui caractérise le mieux l’argumentation de l’auteur.
Prophéties, cabotinages, argumentation oiseuse
Prophéties, cabotinages, argumentation oiseuse et violation des lois qui régissent l’essai ne sont pas les seules qualités d’Ali Amar. Car il y en a une autre : l’approximation. Dans tout livre d’investigation, l’on cherche à ce que des témoins crédibles nous en apprennent sur le sujet traité. L’on sait très bien que c’est la qualité des témoignages et des investigations qui fait la valeur de ce genre de livre. Là encore, rien de sérieux. Des phrases jetées par-ci, par-là. On ne sait pas si les protagonistes cités ont fait les confidences à l’auteur lui-même. On ignore les sources de l’auteur. Et on ne peut même pas espérer trouver la référence d’où l’auteur a extrait sa citation. Exemple : "Si ça continue comme ça, ça va mal finir", fait dire l’auteur à Mostafa Terrab, patron de l’OCP. Où cette phrase a-t-elle été prononcée par Terrab ? Quand ? L’auteur se garde bien de nous le dire. Il nous sert des ragots, sans l’abc de l’exercice journalistique, et nous demande de le croire exactement de la même façon qu’il nous demande de croire en ses pouvoirs de devin.
Autre qualité notable d’Ali Amar dans ce livre : le mensonge. Exemple : "Des manifestations continuent d’être organisées dans toutes les villes du royaume et, fait nouveau, les slogans appellent même souvent au renversement du trône. Impensable il y a quinze ans, le slogan "Mohammed VI dégage!" est désormais repris en cœur". Toutes les villes du royaume seraient donc en ébullition sans qu’on le sache, sans que l’on ne retrouve le lendemain les traces de voitures calcinées, de chaussures perdues dans les courses avec les forces de l’ordre. A lire ce livre, on croirait que le Maroc est à feu et à sang. On aurait peur d’envoyer ses enfants dans les écoles. On penserait que les émeutes font rage, que l’armée a déployé des chars, que l’état d’urgence est proclamé. Et on a beau chercher de toutes nos oreilles des cris hostiles au roi, on n'en trouve pas. On a beau fouiller sur Internet pour trouver le slogan que l’auteur affirme être repris en cœur, il est le seul à l’avoir entendu. On finit par comprendre le mystère des voix que Ali Amar entend quand on apprend que l’auteur a aussi le pouvoir de faire des reportages sur le Maroc sans y être. Ali Amar voit, écoute depuis son domicile en Slovénie de bien curieuses choses qui se produisent au Maroc.