Au-delà des conséquences sanitaires et économiques de la crise épidémiologique, il faut convenir qu’elle a permis de fédérer la population autour d’une seule cause, sous l’impulsion de l’Etat. Les citoyens ont ainsi accepté, sans la moindre résistance, l’état d’urgence sanitaire et le confinement, malgré ce que cela suppose de privation des libertés les plus élémentaires. Les citoyens ont donc choisi de s’en remettre aux décisions de l’Etat. Ils ont respecté les communiqués de l’autorité publique et ont même plébiscité des fonctionnaires qui n’avaient plus bonne presse depuis belle lurette. Toujours est-il que les caïds, les médecins, les infirmiers, les enseignants, sont, en ces temps de crise, très appréciés, voire admirés par la population.
Pourtant, les citoyens ne savent toujours pas ce qu’il va advenir de leurs emplois, de leur mode de vie et de leur pouvoir d’achat après la disparition de la pandémie. Mais ils font confiance à l’Etat et croient dans ses capacités à gérer l’après Covid-19, même si tout le monde sait que ses répercussions laisseront beaucoup de personnes sur le bord de la route. Il est extraordinaire de voir que les citoyens, qui ne supportaient pas les interventions télévisées des responsables de l’Etat, attendent aujourd'hui leurs apparitions avec impatience. Il est vrai que l’Etat a opéré un changement radical dans sa façon de communiquer avec la population. Preuve en est l’intervention du ministre de l’Intérieur devant la commission de l’intérieur à la Chambre des représentants. Ses propos, empreints d’émotions et d’humanisme, liaient le sort de l’Etat à celui des citoyens, les uns et les autres étant, dit-il, dans le même bateau.
Le quotidien Al Ahdath Al Maghribia rapporte, dans son édition du mardi 16 juin, que cet engouement pour l'Etat risque de s’éteindre, vu la gestion hasardeuse de l’Exécutif. En effet, le gouvernement semble avoir perdu la boussole et ne dispose que d’une seule et même vision: celle de prolonger l’état d’urgence sanitaire, en laissant s’aggraver l’hémorragie économique et en faisant perdre aux contribuables plus d’un milliard de dirhams par jour. D'ailleurs, le chef de l’Exécutif a, désormais, de plus de plus de difficultés à communiquer avec les citoyens.
Les ministres «à distance» ont, eux aussi, cédé leurs prérogatives à un gouvernement restreint et délégué leur mission d’encadrement aux caïds, chioukhs et Mokadems. La gestion locale de la pandémie a été ainsi accaparée par des instances non élues. Par ailleurs, les ministres les plus dynamiques se sont mis à travailler avec l’Etat plutôt qu’avec le gouvernement. A tel point que des ministres comme Mohamed Benchaâboun, Saïd Amzazi et Hafid Elalamy sont plus informés des politiques publiques de l'après Covid-19 que le chef du gouvernement lui-même.
Alors, le gouvernement serait-il devenu un fardeau pour l’Etat? Une question que l’on peut légitimement se poser, d’autant que le gouvernement ou ce qu’il en reste a essayé de profiter des mesures de confinement pour réduire plus que de raison les libertés des citoyens. Le chef du gouvernement avait, en effet, essayé de faire passer la loi 22/20 sur les réseaux sociaux, ce qui avait soulevé un tollé général et fait douter l’opinion publique des intentions de l’Etat. Lors de son passage à la télévision, Saâd-Eddine El Othmani a, par ailleurs, donné une piètre image de l’autorité élue en restant très évasif sur les détails de l’assouplissement du confinement. Pis encore, il a préféré donner la primauté de ce sujet à un média qatari, aux dépens du devoir d’information envers ses compatriotes.
Les politiques ont multiplié les ratages. Leurs réactions intempestives à la seule idée de la formation d'un gouvernement technocrate ou d’un gouvernement d’unité nationale ne plaident pas en leur faveur. Et, pour boucler la boucle, ils ont essayé de profiter de l’état d’urgence pour remettre sur le tapis l’idée de l’instauration du vote obligatoire, dans la perspective des élections de septembre et octobre 2021. Autant dire que l’Etat et le peuple n’ont pas encore trouvé le gouvernement qu’ils méritent.