Lahcen Essaady: l’ascension politique comme ascenseur social

Le deuxième score aux législatives, c'est lui: Lahcen Essaady.  . DR

De son douar du Haut Atlas où il a grandi en militant pour bénéficier du transport scolaire, à ce jour, le leader du mouvement des jeunes du RNI a parcouru bien du chemin en politique. Portrait de cet ancien enseignant devenu parlementaire, et qui promet de devenir une étoile montante de l’hémicycle.

Le 06/10/2021 à 17h05

Avec 56.700 voix récoltées, le deuxième plus gros score aux législatives au Maroc, c'est lui! Lahcen Essaady fait partie de ces cinq jeunes membres du bureau politique du RNI qui ont gagné haut la main leur fauteuil au sein de la Chambre des représentants. A 32 ans, né à Taliouine, capitale du safran, il devrait ainsi se mettre dans la peau d'un parlementaire dès vendredi prochain, avec djellaba et «selham» en «dress code» de rigueur pour l'ouverture de la première session de cette 11e législature. «Le “selham“? Je compte l'emprunter chez un ami et le garder pour les cinq prochaines années au moins», plaisante Lahcen de son ton jovial, un sourire charmeur à l’appui.

Président du mouvement des jeunes du RNI depuis 2019, le jeune député prend son mandat très au sérieux. «Je compte faire de mon mieux pour contribuer au travail de l'institution législative, mais je compte aussi porter autant que je peux les revendications de ma circonscription. Car il faut être à la hauteur de la confiance placée en nous», explique l'élu de Taroudant, qui a obtenu le double des voix du président du Parti authenticité et modernité (PAM), Abdellatif Ouahbi, arrivé troisième dans son propre fief électoral.

Un collégien politiséLe travail de proximité, pour défendre la collectivité, Lahcen Essaady est tombé dedans alors qu'il était à peine collégien. Il devait à l'époque parcourir à pied 16 kilomètres pour se rendre à son établissement scolaire à Tafraout, depuis le douar de Tahala, où son père, ouvrier dans le forage des puits, s’était installé en 1991. «Comme tous mes camarades, je n'avais pas les moyens de me payer un taxi aller et retour pour 10 dirhams. Les jours de crue [d’oued], il était même impossible d'accéder à l'école dans cette zone montagneuse», raconte-t-il.

Lui et ses copains du collège, puis du lycée, comprennent alors qu'il leur faut se procurer un moyen de transport scolaire. «Nous avons plaidé notre cause auprès des notables du village, ainsi qu’auprès du président de la commune et ils ont fini par nous accorder un bus de transport du personnel. Mais il a toujours fallu se débrouiller pour trouver de quoi payer le chauffeur et le carburant», se souvient-il.

Cette première prise de conscience de l'importance de la gestion communale réveille en lui cette fibre politique qui ne le lâchera plus jamais. En 2007, alors qu'il n'est même pas encore en âge de voter, il s'implique avec ses camarades dans la campagne électorale d'un député de Tafraout. «Question de faire entendre nos revendications à Rabat», explique-t-il.

Le poulain d'AkhannouchCe baptême des campagnes électorales, Lahcen Essaady va le mettre à profit, en 2011, quand une célébrité de Tafraout se présente aux législatives 2011. Désormais licencié en philosophie, fraîchement diplômé à 22 ans, il fonde alors «le groupe des jeunes amis de Aziz Akhannouch». Sa cellule politique prend part à la campagne électorale en contrepartie d'un dossier revendicatif pour l'éducation dans leur village: le transport scolaire, des bourses de mérite, des aides aux logements universitaires, c’étaient là autant de promesses que Aziz Akhannouch a ensuite honorées au fil des années, même s'il a, à cette époque, renoncé à son siège de député RNI.

«Nous avons été impliqués dans le suivi des réalisations, et aujourd'hui, Tafraout est un exemple de réussite du déploiement du transport scolaire: chacune des sept communes rurales de la zone dispose de deux à trois bus scolaires», nous explique Lahcen Essaady, qui préside depuis 2016 une association, «La maison de Tafraout» qui permet de loger gratuitement, à Agadir, quelque 500 étudiants issus des douars avoisinants.

Volontaire, dynamique et bon communiquant, le jeune homme tape alors dans l'œil du futur chef de gouvernement, qui l'adoube au ministère de l'Agriculture qu’il dirige, après avoir réussi à lui obtenir son détachement du ministère de l'Education nationale. Akhannouch en fait surtout le président du mouvement des jeunes de son parti, en 2019, une fois la phase de constitution de cette organisation parallèle achevée.

Totalement légitime à ce poste, Lahcen Essaady a été à l'origine d'une expérience pilote, en 2014, avec la création d'une section locale à Tiznit de l'association de la jeunesse du Rassemblement national des indépendants. Trois ans plus tard, quand le mouvement des jeunes prend effectivement forme, il en pilote naturellement la section régionale de la région Souss-Massa.

L'enseignement au programmeCette ascension politique, doublée de séances de formation initiées dans le cadre de la RNI Academy, permettent au politicien d'affûter son discours et de trouver son sujet de prédilection. Au cours des nombreux meetings auxquels il a participé dans le cadre de la campagne électorale du RNI, l'ancien enseignant apporte un témoignage des plus sincères sur la situation des cadres de l'Education nationale.

«J'ai suivi une formation d'enseignant, de six mois, à Larache, selon le principe de la pédagogie d'intégration, instaurée par le plan d'urgence du ministre de l'Education nationale à l'époque, Ahmed Akhchichen. Sauf que son successeur, feu El Ouafa, a décidé d'abandonner ce système à la fin de notre formation. Résultat, toute ma promotion n'était pas outillée pour dispenser un quelconque enseignement», se rappelle Lahcen Essaady, qui a tout de même enseigné pendant trois années dans une école à Taznakht, un village au sommet du jbel Siroua, et y a géré comme il le pouvait 4 à 5 niveaux du primaire, parfois regroupés dans une même classe.

C’est donc en toute logique que les problématiques liées à l’éducation tiennent à cœur au jeune élu, qui a contribué à l'élaboration du programme du RNI, particulièrement dans son volet enseignement. «Installer une faculté d'éducation avec un cursus de trois ans pour les enseignants est un engagement auquel nous tenons et qui est en cohérence avec les programmes des partis de la coalition gouvernementale», nous explique-t-il.

Quant à l'amélioration de la situation matérielle des enseignants, traduite dans le programme du RNI par un salaire de départ de 7500 dirhams (au lieu de 4300 dirhams), c’est là une promesse électorale qui risque d'être encore plus compliquée à mettre en œuvre. «Il va falloir négocier serré avec les autres partenaires politiques ainsi que les syndicats», nuance-t-il.

Une manière pour lui d'admettre qu’en tant que jeune parlementaire, il est déjà conscient des contraintes et des concessions qu'impose la realpolitik. Un domaine qu'il aura tout le loisir d'approfondir au cours du prochain quinquennat…

Par Fahd Iraqi
Le 06/10/2021 à 17h05