Ukraine: Poutine ordonne de continuer la guerre, Zelensky anticipe «des efforts surhumains»

Un ingénieur français, Emmanuel Durand, utilise son laser-scanner le 26 mai 2022 pour cartographier l'architecture de la caserne de pompiers de Kharkiv, construite en 1887. Depuis le début de la guerre en Ukraine, obus et missiles ont endommagé les bâtiments historiques.

Un ingénieur français, Emmanuel Durand, utilise son laser-scanner le 26 mai 2022 pour cartographier l'architecture de la caserne de pompiers de Kharkiv, construite en 1887. Depuis le début de la guerre en Ukraine, obus et missiles ont endommagé les bâtiments historiques. . DIMITAR DILKOFF / AFP

Le président russe Vladimir Poutine a ordonné à ses forces hier, lundi 4 juillet 2022, de poursuivre leur offensive dans l'est de l'Ukraine, au lendemain de la prise de Lyssytchansk, son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky mettant en garde que repousser l'envahisseur demanderait du «temps et des efforts surhumains».

Le 05/07/2022 à 06h45

«Nous devons briser» l'ennemi, a lancé Volodymyr Zelensky dans son allocution quotidienne lundi soir, «c'est une mission difficile, qui nécessite du temps et des efforts surhumains. Mais nous n'avons pas d'autre choix».

Il s'était exprimé un peu plus tôt par vidéoconférence à l'ouverture d'une conférence internationale à Lugano, en Suisse, pour préparer la reconstruction du pays. Ce sera «la tâche commune de tout le monde démocratique», a-t-il souligné. Kiev a évalué le coût de ce chantier à 750 milliards de dollars.

Lors de son allocution du soir, Volodymyr Zelensky a aussi expliqué avoir besoin de ces «fonds colossaux» pour aider la population, reconstruire les villes et infrastructures détruites par la guerre, mais aussi «préparer les écoles et universités pour une nouvelle année scolaire» et «se préparer pour l’hiver».

Son Premier ministre Denys Chmygal, qui avait pu faire le déplacement à Lugano, a exposé un plan «estimé à 750 milliards de dollars». La conférence doit s'achever ce mardi, alors que l'issue de la guerre déclenchée le 24 février par l'invasion russe de l'Ukraine reste incertaine.

A Moscou, lors d'un entretien avec son ministre de la Défense Sergueï Choïgou, le président russe a quant à lui donné l'ordre à ses troupes de «mener à bien leur mission» en application des «plans déjà approuvés».

Dimanche soir, l'état-major de l'armée ukrainienne avait annoncé le retrait de ses unités engagées à Lyssytchansk, le dernier bastion de Kiev dans la région de Lougansk (est), que Moscou dit désormais contrôler totalement.

Pour les forces ukrainiennes, l'urgence est désormais de contenir la progression russe vers l'ouest et deux villes majeures de la région voisine de Donetsk: Sloviansk et Kramatorsk.

«Débordement progressif»Après la prise de Lyssytchansk, pièce maîtresse du plan de conquête du Donbass, un bassin industriel en partie contrôlé par des séparatistes prorusses depuis 2014, «l'effort principal de l'ennemi (...) vise à un débordement progressif» des militaires ukrainiens sur cet axe, a déclaré lundi l'état-major ukrainien.

Dans la soirée, l'armée ukrainienne a fait état de tentatives d'assaut russes repoussées dans les régions de Kharkiv (nord-est) et de Donetsk. Par contre, près de Sloviansk, «l'ennemi lance des assauts dans la direction de la localité de Mazanivka et y réussit partiellement», selon la même source.

Selon le gouverneur de la région de Donetsk, Pavlo Kirilenko, 10 personnes, dont deux enfants, ont péri dimanche dans des frappes russes à Sloviansk et dans ses environs.

La ligne de front se rapprochant de cette cité, les autorités ukrainiennes appellent sa population à partir.

Les rues de Sloviansk étaient presque désertes lundi matin, selon des journalistes de l'AFP sur place. Sur le marché du centre-ville ravagé par un incendie provoqué par une frappe russe, quelques vendeurs proposaient des produits de première nécessité tandis que d’autres déblayaient des débris calcinés.

Des vendeurs et des habitants faisaient part de leur inquiétude pour les jours et semaines à venir, tandis que les déflagrations des bombardements étaient audibles.

«Je crois que ce qui nous attend va être encore pire, j'ai déjà pensé à partir», a dit Andriï Gerassimenko, 38 ans, en ramassant les débris du marché.

«Rien de bien ne va se passer, le mieux c'est de partir», a renchéri Viktoria Koloty, une femme de 33 ans qui a confié avoir déjà fait partir ses enfants.

A Siversk, entre Lyssytchansk et Sloviansk, les militaires ukrainiens semblent vouloir tenir une ligne de défense entre cette ville et Bakhmout, plus au sud. Ses habitants interrogés par l'AFP évoquent des bombardements de plus en plus intenses ces derniers jours.

«L'ennemi a intensifié ses bombardements sur nos positions dans la direction de Bakhmout», a confirmé l'état-major de l'armée ukrainienne.

L'armée russe a de son côté annoncé avoir détruit «sept postes de commandement» ukrainiens au cours des dernières 24 heures, «dont celui de la 25e brigade aéroportée dans la région de Siversk».

Le ministère russe de la Défense s'en est ensuite pris à de présumé «néo-nazis ukrainiens» qui, à Belopolïé, dans la région de Soumy (nord-est), «ont miné des ponts sur la rivière Kryga, qu'ils ont l'intention de faire sauter» pour en accuser la Russie.

En Russie, un drone d'origine inconnue est tombé sur une habitation civile à Taganrog (sud-ouest), près de la frontière ukrainienne, sans faire de victime mais incendiant la maison, selon les médias locaux.

Milliards de dollarsA Kharkiv, la deuxième ville d'Ukraine (nord-est), trois civils sont morts dans des bombardements survenus lundi avant l'aube, selon les autorités locales.

A Boutcha, cité-martyre de la banlieue de Kiev, même si certains se sont remis à planter des fleurs au pied des immeubles ou à s'affairer dans leur potager, la population n'ose pas encore penser à la reconstruction, quand l'issue de la guerre reste si incertaine. Ici, les stigmates des combats sont encore visibles partout: vitres brisées, impacts de balles, murs éventrés.

«On va se coucher sans savoir si on se réveillera demain», soupire Vera Semeniouk, 65 ans. «Tout le monde est revenu, commence à réparer les maisons, beaucoup posent de nouvelles fenêtres. Ce serait terrible si ça recommençait et qu'il fallait à nouveau tout quitter».

Dans ce contexte, la conférence de Lugano doit tenter de dessiner les contours de la future reconstruction de l'Ukraine.

La «tâche est vraiment colossale», ne serait-ce que dans les territoires libérés, a reconnu dimanche Volodymyr Zelensky. Les organisateurs de la conférence espéraient sa présence physique mais il a participé, comme il en a désormais l'habitude, par visioconférence à cette réunion rassemblant les responsables des alliés de l'Ukraine, des institutions internationales mais aussi le secteur privé.

La conférence, planifiée bien avant la guerre, devait initialement se concentrer sur les réformes en Ukraine, et notamment la lutte contre la corruption.

Le Premier ministre ukrainien Denys Chmygal et le président du Parlement, Rouslan Stefantchouk, sont arrivés à Lugano dès dimanche. Ils ont rencontré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, afin de poser les bases d'un «Plan Marshall» pour l'Ukraine.

L'urgence est d'aider la population touchée par la guerre avant, dans un deuxième temps, de financer des milliers de projets de reconstruction et, à long terme, de préparer une Ukraine européenne, verte et numérique, a expliqué Denys Chmygal.

Robert Mardini, le directeur général du Comité international de la Croix-Rouge, a jugé sur la chaîne publique suisse RTS qu'il était vital de donner dès maintenant «une perspective positive» aux Ukrainiens.

La Banque européenne d'investissement (BEI) doit proposer la création d'un nouveau fonds pour l'Ukraine, qui pourrait atteindre 100 milliards d'euros, selon des sources informées. Et pour Denys Chmygal, les avoirs russes gelés dans les pays occidentaux sont à eux seuls évalués à 300 à 500 milliards de dollars.

Le 05/07/2022 à 06h45