Dans l'espoir de rassurer les marchés, la banque centrale de Turquie a annoncé lundi qu'elle fournirait toutes les liquidités dont les banques auraient besoin et prendrait les "mesures nécessaires" pour assurer la stabilité financière. Mais l'impact de cette annonce s'est estompé quelques heures plus tard lorsque le président Erdogan a accusé les Etats-Unis de vouloir "frapper dans le dos" la Turquie, provoquant un plongeon de la livre qui illustre l'inquiétude des marchés face à ces tensions diplomatiques.
La livre, qui a perdu cette année plus de 40% de sa valeur face au dollar et à l'euro, s'est effondrée vendredi après un tweet ravageur de Donald Trump, faisant souffler un vent de panique sur les places boursières qui redoutent un effet de contagion de la crise turque.
Gagnées par l'onde de choc de ce "Vendredi noir", qui a vu la livre perdre quelque 16% de sa valeur face au billet vert, les Bourses de Tokyo et de Hong Kong ont fortement baissé lundi. Les principales places européennes, déjà affectées vendredi, restaient fébriles. La Bourse de Tokyo se ressaisissait mardi à l'ouverture. Mais les Bourses de Hong Kong et de Shanghai ont ouvert en repli.
La livre turque, qui a pour la première fois franchi lundi la barre des sept pour un dollar, s'échangeait à 6,89 en début de soirée, soit une chute de plus de 6,7% sur la journée.
Après la panique de vendredi, la banque centrale a voulu rassurer lundi en annonçant plusieurs mesures. Elle a notamment révisé les taux de réserves obligatoires pour les banques, afin d'éviter tout problème de liquidités, et fait savoir qu'environ 10 milliards de livres, six milliards de dollars et l'équivalent de trois milliards en or de liquidités seraient fournis au système financier.
"Tirer dans les pieds"
La déroute de la livre s'est accélérée au cours des deux dernières semaines en raison de la grave crise dans les relations entre Ankara et Washington liée à la détention en Turquie d'un pasteur américain, Andrew Brunson.
Sanctions réciproques, menaces, puis annonce vendredi sur Twitter par M. Trump du doublement des droits de douane sur l'acier et l'aluminium turcs: les tensions entre ces deux pays alliés au sein de l'Otan sont allées crescendo ces derniers jours, emportant la monnaie turque.
"D'un côté, vous dites être notre partenaire stratégique et, de l'autre, vous nous tirez dans les pieds (...) Une telle chose est-elle acceptable ?", s'est emporté M. Erdogan dans un discours lundi à Ankara.
Outre ces problèmes diplomatiques bilatéraux, les économistes s'inquiètent de la mainmise sur l'économie de M. Erdogan qui s'est renforcée après sa réélection en juin dernier.
Les marchés exhortent la banque centrale à redresser davantage ses taux pour soutenir la livre et maîtriser une inflation galopante qui a atteint près de 16% en juillet en glissement annuel, mais le président turc s'y oppose farouchement.
Dans ses annonces lundi, la banque centrale n'a pas fait mention des taux, au grand dam des milieux économiques. Même la chancelière allemande Angela Merkel s'est impliquée dans le débat, martelant lundi que "personne (...) n'a d'intérêt dans la déstabilisation de la Turquie" et que "tout doit être fait pour que, par exemple, une banque centrale indépendante puisse opérer".
"Terroristes économiques"
"La Turquie aura besoin de politiques économiques crédibles et orthodoxes, de discipline budgétaire et de l'indépendance de la banque centrale pour inverser la situation actuelle", a expliqué à l'AFP Agathe Demarais, de l'Economist Intelligence Unit, jugeant "peu probable" une normalisation dans l'immédiat des relations avec Washington.
Par ailleurs, le ministère turc de l'Intérieur a annoncé lundi qu'il enquêtait sur des centaines d'internautes qu'il soupçonne d'avoir partagé des commentaires relevant de la "provocation" visant à affaiblir la livre.
M. Erdogan a qualifié ces internautes de "terroristes économiques" qui recevront "le châtiment qu'ils méritent". "Les dynamiques économiques de la Turquie sont solides, elles sont fortes et bien ancrées", a insisté le chef de l'Etat.
Cette crise monétaire s'est étendue à la plupart des devises des pays émergents qui, comme le rand sud-africain, le peso argentin, le réal brésilien et le rouble russe, plongent depuis quelques jours.