Affaire Khashoggi: la pression monte, silence à Riyad et business as usual

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Les autorités saoudiennes, qui avaient rapidement jugé "infondées" les accusations sur leur implication dans l'assassinat à Istanbul du journaliste Jamal Khashoggi, ont depuis choisi la stratégie du silence, sur fond de pression croissante de leurs alliés.

Le 12/10/2018 à 09h37

La disparition de ce journaliste connu pour ses positions critiques envers le prince héritier Mohammed ben Salmane intervient alors que le royaume doit accueillir du 23 au 25 octobre une conférence économique de premier plan destinée à attirer des investissements dans le royaume. Doivent notamment y participer le secrétaire américain au Trésor Steven Mnuchin et la directrice du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde.

La pression monteLe président américain Donald Trump, dont le pays est un grand allié de Riyad mais aussi celui où s'était exilé Khashoggi, a demandé mercredi dernier des explications aux Saoudiens sur cette disparition. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a pour sa part de nouveau réclamé hier des images de surveillance du consulat d'Arabie saoudite à Istanbul prouvant que le journaliste en est ressorti, comme l'affirment les Saoudiens. Jusqu'à présent, la seule réponse de Riyad a été d'affirmer que les caméras ne fonctionnaient pas ce jour-là.

Khashoggi, un journaliste collaborant notamment avec le Washington Post, a été vu pour la dernière fois le 2 octobre en train d'entrer dans ce consulat, où il était venu obtenir un document nécessaire à son futur mariage. Quatre jours plus tard, des responsables turcs cités par les médias ont affirmé qu'il avait été tué dans le bâtiment, des allégations aussitôt jugées "infondées" par Riyad.

La police turque a par la suite indiqué qu'une équipe de 15 Saoudiens était arrivée à Istanbul par avion le 2 octobre. Selon des médias turcs, ces hommes sont venus tuer le journaliste et ont récupéré les images de vidéo surveillance, avant de quitter le pays. Riyad n'a pas commenté ces allégations, ou encore les affirmations selon lesquelles le prince héritier avait émis un ordre pour attirer Jamal Khashoggi dans un piège afin de l'arrêter.

"Le risque ici, c'est qu'en gardant le silence, le royaume peut apparaître coupable aux yeux des médias internationaux", a indiqué à l'AFP Aleksandar Mitreski, un analyste en sécurité et défense. Mais "faire une déclaration officielle qui peut être remise en question à mesure qu'émergent de nouvelles preuves pourrait être encore plus préjudiciable" pour Riyad, ajoute ce spécialiste de la région. La fiancée de Khashoggi, Hatice, a, quant à elle, demandé l'aide des Etats-Unis.

Ventes d'armes: business as usualInterrogé sur le fait de savoir si la disparition suspecte du journaliste pouvait mettre à mal les relations avec Riyad, Donald Trump a répondu hier qu'il fallait d'abord "trouver ce qui s'(était) passé". La Maison Blanche a indiqué que deux des plus proches conseillers du président, son gendre Jared Kushner et le responsable du conseil de Sécurité nationale John Bolton, avaient parlé mardi au prince héritier. Le président Trump a cependant déclaré, hier encore, qu'il ne comptait pas réduire les ventes d'armes des Etats-Unis à l'Arabie Saoudite.

La Grande-Bretagne a fait part de son "extrême" inquiétude sur le sort du journaliste. Et le ministre des Affaires étrangères, Jeremy Hunt, a prévenu les autorités saoudiennes qu'elles s'exposeraient à de "graves conséquences" en cas de responsabilité dans sa disparition.

Si l'Arabie saoudite s'est terré dans un silence officiel depuis samedi, des médias locaux affirment eux que le royaume fait l'objet d'une campagne calomnieuse de la part d'opposants politiques. Le quotidien saoudien Asharq al-Awsat s'est élevé jeudi contre les "tentatives de certains d'instrumentaliser cette affaire politiquement". "Les scénarios évoqués ici et là ne reposent sur aucune preuve", a écrit le quotidien, en accusant des parties non identifiées d'avoir exploité cette affaire pour "porter atteinte au royaume".

A Riyad, les habitants préfèrent ne pas discuter du sujet dans les cafés, ou sur leur lieu de travail. Même à la maison, le cas du journaliste ne semble pas être une priorité pour de nombreuses familles. Pour certains, cette affaire a toutefois d'ores et déjà nui à l'image de Mohammed ben Salmane. Sa réputation "a été ternie de façon significative, quel que soit le sort de Khashoggi, soulevant la question de sa viabilité si l'Arabie saoudite devait être condamnée internationalement", estime James Dorsey, chercheur à l'Ecole d'études internationales S. Rajaratnam à Singapour.

Mohammed ben Salmane, 33 ans, cherche à cultiver en Occident l'image d'un réformateur, réduisant les pouvoirs de la police religieuse, donnant son accord à la réouverture de cinémas, à l'organisation de concerts et à l'entrée des femmes dans les stades. Cependant, il n'hésite pas à réprimer toute contestation militante de la monarchie absolue, relèvent des experts.

Le 12/10/2018 à 09h37