En 2016, le programmateur a développé, en marge de son travail d'analyste commercial, cette messagerie gratuite et anonyme qui a récemment été classée en tête des téléchargements d'applications.
Initialement conçue comme un outil pour faciliter les échanges en milieu professionnel, notamment entre employés et employeurs, Sarahah ("franchise" en arabe) propose d'envoyer à ses connaissances des messages anonymes.
L'application a connu un succès grandissant sur les smartphones du monde entier, même si elle est critiquée pour sa politique de confidentialité.
"Sarahah est l'équivalent numérique d'une boîte à idées", explique à l'AFP Zainalabdin Tawfiq, 29 ans, ajoutant qu'elle est fondée sur le principe selon lequel les utilisateurs sont plus sincères lorsqu'ils se savent anonymes.
"L'objectif, c'est le feedback, de façon anonyme", dit-il.
D'un design simple et épuré, l'application encourage les utilisateurs à "laisser un message constructif", le destinataire n'étant pas autorisé à répondre, mais seulement à partager le message sur les réseaux sociaux ou à bloquer l'expéditeur.
Au-delà du monde arabe où la sphère numérique est souvent parasitée par la censure, la plateforme sans filtre de Sarahah a séduit jusque dans les pays occidentaux, en libérant la parole.
"On se permet des commentaires que l'on aurait normalement refoulés", résume ainsi un utilisateur.
Sarahah recense déjà 85 millions d'inscriptions et a même été en tête du classement de l'Apple Store dans certains pays, devançant les grosses plateformes telles que Snapchat ou Instagram.
Le succès de cette application saoudienne a mis en lumière le potentiel insoupçonné des innovations numériques et de l'entrepreneuriat dans le royaume.
Il intervient au moment où l'Arabie saoudite fait la promotion de l'entreprise privée dans le cadre de son ambitieux programme de réformes visant à diversifier son économie pour la rendre moins dépendante des revenus pétroliers.
"La success story de Sarahah prouve que les startups saoudiennes peuvent obtenir de spectaculaires résultats lorsqu'elles sont correctement soutenues", affirme Nawaf Alsahhaf, PDG de Badir, un incubateur d'entreprises technologiques soutenu par le gouvernement et qui a aidé M. Tawfiq.
"Il existe un potentiel indéniable derrière les startups saoudiennes que nous développons actuellement", assure-t-il à l'AFP.
Cette nouvelle génération d'entreprises saoudiennes -comme l'application d'assistance routière Morni ou le portail de commande alimentaire Hunger Station- a récemment attiré l'attention des investisseurs.
M. Tawfiq affirme être actuellement en négociation avec des investisseurs des Etats-Unis, de Chine et du monde arabe, sans fournir plus de détails, en réponse aux critiques mettant en doute le succès financier de son projet.
Dans certaines sociétés arabes où la séparation hommes-femmes est de rigueur, des hommes utilisent Sarahah pour converser secrètement avec leurs amantes.
L'application a également été utilisée par des entreprises de prestations de services pour obtenir des retours constructifs et par des psychiatres en Inde pour discuter ouvertement de sujets sensibles comme la sexualité.
Alors que Sarahah a été critiquée pour attirer les "trolls" (utilisateurs postant des messages malveillants ou provocateurs), M. Tawfiq affirme que ce problème est commun à tous les grands réseaux sociaux.
"Même un seul cas (d'abus), c'est déjà trop", déplore-t-il. "Je ne vais pas vous dire comment, mais mon objectif est de diminuer le plus possible le pouvoir de nuisance de certains utilisateurs".
La plateforme a aussi été accusée récemment de collecter secrètement les données personnelles des utilisateurs. Là encore, son créateur se défend en répondant qu'il prévoit de supprimer le carnet d'adresses des inscrits dans la prochaine mise à jour.
Devant le succès planétaire de son application, M. Tawfiq envisage de quitter son travail pour se consacrer à plein temps à Sarahah.