Grillant en quelque sorte la politesse à l'exécutif européen qui doit faire une annonce dans la journée, le ministre français des Finances, Bruno le Maire, a confirmé ce que tout le monde attendait. "Je crois que les jeux sont faits", a affirmé le ministre sur la chaîne de télévision France 2, parlant d'une "erreur économique" qui "va servir les intérêts" de la Chine.
Plusieurs sources avaient déjà indiqué mardi à l'AFP que la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, devrait officialiser, ce mercredi, son veto au projet de fusion, annoncé en grande pompe en septembre 2017 et soutenu tant par Paris que par Berlin.
La commissaire danoise s'est inquiétée à maintes reprises des effets de ce rapprochement. Il réduirait le nombre d'industriels rivaux dans l'Union, ce qui risquerait de faire monter les prix des trains pour les compagnies ferroviaires, et celui des billets pour les consommateurs.
De façon assez inhabituelle, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a défendu mardi, dans un discours à Bruxelles, la politique européenne de la concurrence.
"Nous permettrons toujours une concurrence équitable pour les entreprises et, en fin de compte, pour les consommateurs (...) Nous ne ferons jamais de politique ou de favoritisme quand il s'agit d'assurer des règles du jeu équitables", a lancé le Luxembourgeois.
La Commission européenne, qui dispose depuis 1989 d'un droit de veto sur les grands projets de fusion, n'en a pas souvent fait usage. Elle a par exemple donné sa bénédiction au mariage des cimentiers Lafarge et Holcim, à celui d'Air France et KLM, ainsi qu'à la création du géant européen de l'aéronautique EADS.
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Ce qui n'empêche pas Mme Vestager, autrefois encensée par le président français Emmanuel Macron pour son intransigeance vis-à-vis des GAFA, d'être devenue avec le dossier Alstom-Siemens la cible d'attaques plus ou moins directes de Paris et Berlin.
Les deux capitales, comme les industriels, craignent la concurrence du chinois CRRC, numéro un mondial du ferroviaire né du rapprochement de deux entreprises d'Etat contrôlées par Pékin.
CRRC fabrique 200 trains à grande vitesse chaque année, et Siemens-Alstom 35, notait récemment le ministre français des Finances, Bruno Le Maire.
Mardi, une source gouvernementale française a estimé que le veto attendu de Bruxelles était "symptomatique d'une certaine idéologie de la Commission qui va à l'encontre des intérêts européens", regrettant une interprétation des règles "extrêmement stricte" de la part de Bruxelles.
Le même jour, le ministre allemand de l'Economie, Peter Altmaier, a également plaidé pour une politique favorisant des regroupements à l'échelle européenne, pour créer des groupes capables de jouer "à égalité" sur la scène internationale et une révision du droit européen de la concurrence
"N'y a-t-il pas des domaines tels que l'aviation, les chemins de fer, les banques où vous devez prendre le marché mondial comme référence plutôt que l'européen?", a fait valoir le ministre.
Et mardi toujours, le président de la fédération du patronat français (Medef), Geoffroy Roux de Bézieux, a lui aussi estimé "indispensable" la constitution de champions européens.
Une semaine auparavant, le patron de Siemens, Joe Kaeser, s'était emporté contre les "technocrates rétrogrades" de Bruxelles.
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Les deux groupes, français et allemand, avaient tenté d'amadouer la Commission européenne par des mesures compensatoires, en vendant certaines activités.
Alstom et Siemens Mobility repartiront "chacun de leur côté" en cas d'entrave à leur rapprochement, a indiqué le PDG d'Alstom, Henri Poupart-Lafarge, au quotidien français Le Figaro, à paraître ce mercredi.
Siemens, de son côté, a laissé entendre qu'en cas de refus, il n'excluaitt pas une introduction en Bourse de sa rentable branche Mobility.
L'interdiction de la fusion devrait faire le bonheur des syndicats belge et français d'Alstom. Ils avaient réitéré lors d'une rencontre avec Mme Vestager à Paris le 21 janvier dernier leur opposition au projet, craignant d'importantes suppressions de postes.