Le Maroc change de dimension sur le plan énergétique. Longtemps cantonné à un rôle marginal, le gaz naturel s’impose désormais comme un levier stratégique capable de remodeler l’industrie, la géopolitique et la compétitivité nationale. C’est le constat dressé par BMCE Capital Global Research (BKGR) dans sa dernière note, reprise par le quotidien Les Inspirations Éco dans son édition du 13 octobre. Cette note met en avant le Nigeria-Maroc Gas Pipeline (NMGP) et le développement du GNL comme piliers d’une transformation ambitieuse et nécessaire pour le Royaume.
La consommation annuelle de gaz au Maroc atteint environ un milliard de mètres cubes, un chiffre modeste face à ses voisins, mais appelé à croître rapidement. La production locale, plafonnée à 110 millions de mètres cubes, ne couvre qu’environ 10% des besoins. BKGR souligne qu’une telle dépendance offre paradoxalement une marge de manœuvre. «En accélérant l’importation de GNL et en diversifiant ses sources, le Maroc peut construire une véritable autonomie énergétique tout en sécurisant l’alimentation de ses centrales électriques et de ses sites industriels», écrit Les Inspirations Éco.
Avec 5.600 kilomètres de tracé et une capacité projetée de 30 milliards de m³ par an, le NMGP dépasse le cadre d’une simple infrastructure. Il représente «un changement d’échelle dans la géostratégie énergétique africaine», souligne BKGR, en reliant treize pays de la CEDEAO et en positionnant le Maroc comme plateforme énergétique entre l’Afrique et l’Europe. Les investissements, estimés entre 20 et 25 milliards de dollars, mobilisent déjà la Banque islamique de développement et plusieurs fonds souverains africains. L’objectif est double: garantir un accès durable au gaz nigérian et consolider la position du Maroc comme hub régional capable d’exporter et de réguler les flux entre le continent et le marché européen.
Sur le plan macroéconomique, le NMGP pourrait générer jusqu’à 50.000 emplois directs et indirects pendant la construction, auxquels s’ajouteraient 5.000 emplois permanents une fois le projet opérationnel. BKGR estime que le projet pourrait contribuer de +0,5 à +1 point de croissance du PIB durant la phase de chantier, puis de +0,3 point à long terme grâce à la baisse des coûts énergétiques pour l’industrie. «Les secteurs électro-intensifs (chimie, métallurgie, cimenterie) bénéficieront particulièrement de cette dynamique, améliorant la compétitivité des exportations marocaines sur les marchés africains et européens», note Les Inspirations Éco.
Le Maroc ne part pas de zéro. Le terminal flottant de regazéification (FSRU) de Jorf Lasfar permettra d’importer entre 1,5 et 2 milliards de m³ de GNL dès 2026. Parallèlement, les centrales à cycle combiné de Tahaddart et Aïn Beni Mathar verront leurs capacités renforcées, et la future centrale Al Wahda ajoutera près de 1.000 MW au réseau national. Selon BKGR, ces investissements visent à intégrer le gaz comme régulateur, capable de compenser la variabilité du solaire et de l’éolien, tout en soutenant l’essor des renouvelables.
BKGR insiste toutefois sur les conditions nécessaires pour réussir ce virage gazier: une gouvernance solide, un cadre réglementaire clair, un financement prudent et durable, ainsi que le respect des impératifs environnementaux et sociaux. Le pipeline traverse des zones sensibles, et la maîtrise des émissions de méthane, ainsi que la concertation avec les populations locales, seront déterminantes.
Plutôt que d’opposer gaz et transition verte, BKGR plaide pour une complémentarité: le gaz, utilisé de manière transitoire, assure la flexibilité d’un système électrique à forte part de renouvelables. À terme, les infrastructures du NMGP pourraient transporter des gaz décarbonés ou de l’hydrogène vert, prolongeant la valeur stratégique des investissements.







