"La marche" a été projeté à Marrakech, dimanche après-midi, dans le cadre du FIFM et en présence de toute l’équipe du film, longuement ovationnée par une salle comble lors de son entrée dans la salle. Le film s’inspire de la célèbre "marche des beurs" de 1983, entreprise par quelques jeunes qui avaient marché de Paris à Marseille dans l’espoir de conscientiser les français au problème du racisme. Dans "La marche" de Nabil Ben Yadir, ce sont quelques jeunes habitants des Minguettes, un quartier de la banlieue de Lyon, qui décident d’entreprendre une marche jusqu’à Paris pour réagir contre les discriminations et les inégalités. C’est le jeune Mohamed qui prend cette initiative, après avoir reçu une balle délibérément tirée sur lui, pour simple "délit de faciès".
Si le film a été abondamment critiqué comme si Nabil Ben Yadir, qui pourtant avertit très clairement le spectateur de sa "libre interprétation de la marche des beurs de 1983", avait commis un sacrilège en touchant à l’histoire, il faut admettre que ce film saisit dès la première image, dès le premier mot. Et l’émotion qui prend le spectateur ne relâchera à aucun moment son emprise sauf, peut-être, au moment où Jamal Debbouze y fait une entrée intempestive digne de ses one man show, et qui arrache brusquement le spectateur au film. A part ce petit moment quelque peu déroutant, le film est d’une prégnante intensité.
Les acteurs sont absolument magistraux et d’une authenticité rare, les dialogues savoureux. Donnant l’impression d’être filmées avec une caméra amateur, les scènes gagnent en charme, en naturel. Le message est fort sans qu’à aucun moment le film, malgré la violence de certaines scènes, ne sombre dans le pathos. Car la marche sera semée d’embûches. Les marcheurs se feront menacer par un raciste hystérique qui braquera sur eux un fusil. La jeune Mounia se fera agresser par des fous furieux qui lui graveront une croix gammée dans le dos. La jeune Claire subira une tentative de viol. Et pourtant, ce qui primera, dans ce film, c’est la dignité qui continuera de faire marcher, tête haute, ceux qui auront été humiliés et souillés dans leur chair. C’est l’amitié et la solidarité qui unissent ce petit groupe et mettra du rire entre les larmes. C’est la beauté et la fraîcheur des idéaux de ces jeunes qui veulent marcher comme Ghandi et Martin Luther King. Références que d’aucuns, parmi les critiques qui ont incendié ce film, qualifieront de "mièvres" et "caricaturales". Car il semble qu’il ne soit plus de bon ton d’avoir des idéaux. Car il semble que cela ne se fasse plus non plus de se laisser toucher par un film, de se laisser porter par ses acteurs et encore moins d’avouer avoir cédé aux larmes. Que ça fasse plus "genre " et plus crédible de détruire un film en reniant jusqu’à son indéniable sincérité.
Une distribution magistrale
Les acteurs sont plus magiques les uns que les autres. Tewfik Jallab, qui incarne le jeune Mohamed, est absolument remarquable. Ce jeune acteur bourré de talent crève littéralement l’écran. Son jeu est captivant. Sa présence saisissante. M’barek Belkouk est émouvant dans le rôle de Farid, un ami de Mohamed qui, quelque peu perdu et très enrobé, retrouvera, à travers cette marche, sa dignité et jusqu’à une identité dans la fierté qu’il verra alors briller dans les yeux de son père. Vincent Rottiers n’est pas moins touchant, qui incarne un jeune français des Minguettes et tissera avec Mounia, incarnée par Hafsia Herzi, une histoire d’amour qui traversera, symbolique, le film en filigrane.Nul doute que nous reverrons ces trois merveilleux acteurs, jusque là inconnus, et qui ont fait là une entrée fracassante dans l’univers du cinéma, aux côtés de monstres sacrés qui ne leur auront fait aucune ombre. Car il y avait aussi là, fabuleux, Philippe Nahon dans la peau d’un vieux bougre faussement bourru qui cache un cœur débordant de bonté sous des airs prêtant à confusion et le faisant passer pour raciste. Or, le fromager entreprendra de suivre, avec sa petite camionnette, les marcheurs pour les aider. Il y a, aussi, le curé, joué par un Olivier Gourmet magistral et qui parcourra avec ses jeunes qu’il soutiendra jusqu’au bout les kilomètres qui les mèneront vers Paris. Lubna Azabal, la révoltée bouffée par la colère, incendie le film de son regard crevé par la douleur et de ses rages qui vous saisissent aux tripes. Nader Boussandel est celui qui traverse ce film tout en finesse, avec sa guitare qu’il fait vibrer pour faire sourire ses compagnons, sa présence fluide d’une douceur et d’une générosité infinie. Charlotte Le Bon est tout simplement magnifique qui incarne la lumineuse Claire, courageuse, dont les yeux pleins de fraîcheur s’agrandiront de terreur après une tentative de viol où elle sera rouée de coups. Et, bien sûr, il y a Jamal Debbouze qui, hormis peut-être la scène un peu trop bruyante de son apparition, confirmera une nouvelle fois son talent d’acteur dans ce rôle de toxicomane déjanté au grand cœur.
Ce film, humain et humaniste, a profondément ému au festival du film de Marrakech. Et si l’équipe de "La marche" a été accueillie par une standing ovation, le film a de même été salué par un public qui s’est mis debout dès le début du générique de fin. Une salve d’applaudissements. De la buée dans les regards. Un petit regret : Jamal Debbouze est certes une star particulièrement aimée du public marocain, de son pays. Mais il était tout de même étonnant de le voir mis sur les feux des projecteurs pour un film où il avait un second rôle, lorsque les autres acteurs sont restés en retrait.






