FIFM : "Again", notre coup de coeur

Brahim Taougar - Le360

"Again", un chef-d'oeuvre de Kanai Junichi, en compétition officielle du Festival international du film de Marrakech. Un hymne saisisssant à la vie et à sa complexité. Yoshikura Aoi, l'héroïne de ce nouveau bijou du cinéma japonais, nous fait part de ses émotions.

Le 07/12/2013 à 15h09

On ne peut ressortir indemne de cet hymne saisisssant à la vie, à sa complexité, aux remous aussi sublimes que cruels de ses voluptés et de ses déchirures. "Again" : certainement l'un des plus beaux films en compétition du FIFM 2013. Un chef-d'oeuvre de Kanai Junichi qui met en scène des acteurs absolument bouleversants. Accompagnée de sa traductrice, Yoshikura Aoi, l'héroïne de ce nouveau bijou du cinéma japonais, nous a fait part de ses émotions avec une candeur et une spontanéiété aussi prenantes que celles de la jeune fille qu'elle incarne dans le film lorsque nous lui avons posé les questions de savoir comment elle avait vécu cette expérience et ce qu'elle avait ressenti a posteriori, en tant que spectatrice de sa propre performance dans un rôle aussi fort. 

Oui, mademoiselle, nous avons apprécié. Et plus que cela, ce film ciselé dans la plus belle tradition cinématographique japonaise. Tout y est épuré. La narration est confondante d’une simplicité toute feinte, cependant, car tout y est de métaphores, de subtils symboles. L’image est d’une splendeur esthétique immaculée sublimée par les tremblées et halos des lumières. Un film tout en délicatesse. Et, pourtant, c’est un drame qui s’y joue. Un drame troublant tant il est savamment tramé dans un silence saisissant tout juste rompu, de temps à autre, par les cris de désespoir de l’héroïne, quand les sanglots intérieurs la débordent. Car c’est dans un parcours intérieur qu’est pris le spectateur. Celui d’une jeune fille dont le début du film met en exergue l’innocence, la fraîcheur de la présence au monde, une présence embaumant la plénitude de la jeunesse qui naît à l’amour. Celui, aussi, d’une mère surprotectrice tant elle sent sa fille fragile, vulnérable. Et elle sent bien que Hatsumi, qui s'est éprise d’un jeune homme qui semble avoir de même succombé à son charme, lui ment lorsqu’elle prétend se rendre à l'école pour des cours de rattrapage dont elle n’a manifestement pas besoin. Elle exige ainsi d’elle, un soir où elle rentre de ses prétendus cours, qu’elle lui remette son téléphone. Or, Hatsumi, qui a passé l’après-midi avec celui qu’elle prenait encore pour le prince charmant, prétend que son téléphone est cassé de peur que sa mère ne découvre les photos qu’elle avait prises avec lui et court s’enfermer dans sa chambre pour les effacer tandis que sa mère tambourine à la porte jusqu’à la faire céder. La jeune fille tombe alors à terre et le téléphone se brise.

Fracture

Ce moment fortement symbolique constituera le moment de fracture dans un film qui, jusque-là et hormis les moments ponctuels de lancinante tension dont le traverse, par endroits, l’inquiétude permanente qui ronge le regard de la mère, rien de dramatique. Et, face à cette éclosion de vie à laquelle assiste le spectateur dans la naissance d’un amour entre deux jeunes gens, l’inquiétude de la mère semble d’autant plus banale quand elle ne se fait pas agaçante. Moment de fracture car le fossé entre la mère et la fille, qui prétend, au moment où la mère pénètre dans la chambre et voit le téléphone éparpillé sur le sol, la mettre devant la preuve de sa bonne foi. Moment de fracture, surtout, car la communication entre Hatsumi et son aimé est rompue. Le regard creusé de la mère, d’une noirceur abyssale, prend alors l’intensité d’un comme mauvais augure. Et un soir, alors que Hatsumi sort fêter l'anniversaire de sa mère à laquelle elle offre un joli bouquet de fleurs, elle voit, sur le chemin du retour, le jeune homme qui fait battre son cœur. Elle abandonne alors sa mère à la maison pour courir à sa rencontre, le retrouve après un moment d’errance dans la nuit. Mais, contre toute attente, le jeune homme se jette sur elle et la viole. S’ensuit une scène poignante la jeune fille marche, le corps disloqué et le pas haché, trébuchant. Une jeune fille sportive, éprise de course à pied et pleine de vie, et que l’on avait vu jusque-là courir à perdre haleine à travers vents, comme pour défier les temps de sa jeunesse et de fulgurante beauté.

Un psycho-drame tout en surprenantes nuances

Malgré le mutisme de sa fille, la mère comprend ce qui lui est arrivé, appelle la polie, l’emmène à l’hôpital. Elle est aussi dévastée que sa fille, égarée, qui tantôt feint une gaieté démesurée devant sa meilleure amie qui finit par apprendre le drame qu’elle a vécu, tantôt se laisse rattraper par un regain d’innocence comme dans cette superbe scène où, après s’être précipitée, désespérée, dans les eaux d’un lac qu’elle contemplait depuis un moment durant lequel le spectateur envisage le pire, elle se surprend à jouer comme l’enfant qu’elle était il n’y avait pas si longtemps de ça. Les deux amies d’amusent à arroser, riant aux éclats. Et, pourtant, il y a quelque chose de profondément poignant et désespéré dans cette scène où se rejoue la candeur d’une enfance ravagée invoquée, convoquée par à-coups nerveux . Quelque chose d’hystérique, comme un désir éperdu d’amnésie, impossible, qui finit par se briser dans un sanglot et ce cri, inattendu : "Il me manque !" La mère, dévastée, comme sa fille, et qui change l’eau des fleurs qu’elle lui a offertes comme pour lui restituer la pureté d’une enfance brusquement déflorée sans se douter de la complexité du trouble qui ronge son enfant.

La fin du film ? saisissante. Mais nous vous laisserons la découvrir. Non, ce n’est pas du sadisme. C’est simplement, peut-être, histoire de peut-être nous rattraper pour en avoir déjà trop dit mais surtout, plus sûrement, parce que ce film est à voir. Et, au fond, nous ne vous en aurons finalement pas dit grand-chose. Il est à voir et à frémir de bout en bout. Et on le prend à bout portant, dans sa chair. 

Par Bouthaina Azami
Le 07/12/2013 à 15h09