"L’Armée du salut" de Abdellah Taïa, adapté de son roman éponyme, fait partie des quatre longs métrages français en compétition officielle au festival Premiers plans d'Angers. Et le film a séduit au point que le romancier et désormais cinéaste a décroché, samedi soir, le 1e prix du film français du festival, exæquo avec la franco-sénégalaise Dyana Gaye pour "Des étoiles". Le talent du cinéaste, dont il a été relevé que chaque élément du film a été réfléchi, chaque plan mûrement pensé, chaque image finement travaillée aussi bien sur le plan technique qu’esthétique, a été littéralement ovationné.
L’histoire, de même, a ému. Celle d’un adolescent dans la Casablanca des années 80. Un adolescent vivant modestement dans un quartier populaire de la métropole, au sein d’une famille modeste, entouré d’une mère autoritaire, d’un père las qui a baissé les bras, de plusieurs sœurs prises dans la futilité de leur jeunesse, et d’un frère qu’il adule à tel point que l’amour qu’il lui voue en devient ambigu. Les premières expériences sexuelles du jeune homme seront des sortes de pièges qui lui seront tendus par des hommes plus âgés, un vendeur de fruits qui l’entraîne à l’abri des regards, à l’intérieur de son échoppe, pour le récompenser ensuite de ses faveurs en lui offrant, une pastèque ; un homme rustre qui le brutalise sur un chantier…
La complicité avec ce grand frère, qui sera une sorte de mentor, marquera un tournant dans la vie du jeune homme à la faveur d’une escapade au bord de la mer où son aîné l’encouragera à apprendre le français pour réussir, le poussera à prendre son avenir en main. Dix ans plus tard, Abdallah se retrouvera en Suisse, à Genève, où il vivra aventures amoureuses et désarroi d'un exil dont la douleur reste profondément ancrée, le traversant comme une plaie intérieure. Profonde solitude et désir de l’autre, de sa présence, de son regard, de sa reconnaissance, merveilleusement symbolisés par la scène d’une orange fendue comme cette plaie intérieure et dont la moitié est tendue en partage, comme ce désir d’amour et de monde, à un compagnon d’infortune. Nul doute que d’autres films signés Abdallah Taïa suivront ce premier long métrage qui n'a pas fini de toucher et qui n'en est ni à son premier ni, certainement, à son dernier prix.