Comme il m’arrive souvent de le dire ici et ailleurs, il ne fait pas toujours bon d’être chroniqueur satirique, un des métiers qui n’en est pas tout-à-fait un de votre pas toujours humble serviteur. Pourquoi ? Et bien, parce que tout simplement, malgré mes efforts permanents, je n’arrive pas toujours à rire de tout, alors que c’est l’enjeu même de ma mission qui, d’ailleurs, au fond, n’est pas si rigolote que ça.
Franchement, comment voulez-vous que je me marre avec tout ce qui vient de se passer à la fin de la semaine passée. Je ne parle pas de la routine meurtrière qui s’est installée notamment en Syrie et en Irak, mais juste des deux coups terribles qui ont eu lieu successivement en France et en Turquie. Je ne suis pas un analyste politique, et je ne vais donc pas commenter ces deux évènements sanglants, mais je vais essayer de donner mon avis sur les réactions parfois insolites de certains de mes concitoyens et concitoyennes. J’en profite d’ailleurs pour souligner qu’à chaque fois qu’il arrive quelque chose de violent quelque part dans le monde, et surtout si ce quelque part n’est pas très loin des préoccupations de notre monde, on sent une certaine effervescence verbale ou écrite, ou les deux, qui se développe crescendo jusqu’à prendre parfois des tournures extravagantes.
Cette effervescence est constatée un peu partout: dans les foyers, sur les terrasses des cafés, dans les taxis, au coin des rues, et, bien entendu, dans les réseaux dits sociaux. C’est simple: tout le monde a un avis ou, mieux ou pis, a un parti-pris. Autrement dit, tout le monde prend position. On est pour ou contre, et on ne s’en cache pas. Pour les plus érudits ou les plus bavards, on va même jusqu’à dire pourquoi. Et puis, il y a ceux et celles qui font tout ça, et qui en plus, s’affichent publiquement avec de gros titres du genre (d’où mon titre): «Je suis Machin» ou «Je suis Machine», histoire de montrer qu’on a totalement intégré la cause défendue.
Ces gens-là, on les sent très concernés et très impliqués et ils doivent quelque part vouloir ou espérer être reconnus comme tels. Ils doivent peut-être, consciemment ou inconsciemment, rechercher une certaine reconnaissance, une certaine valorisation. Non, non, je ne suis pas en train de me moquer d'eux d’autant plus qu’il m’est arrivé moi-même de faire de même. J’ai été, par exemple, Mali, puis Charlie, puis je ne sais plus quoi d’autre. Là, cette fois-ci, j’ai failli déclarer comme beaucoup «Je suis Nice», mais j’ai vite renoncé. Et vous savez pourquoi? Parce que ça m’a fait un peu rigoler alors qu’au fond ce qui s’est passé à Nice n’a vraiment rien de marrant.
En fait, ça m’a rappelé une pub que j’avais vue il y a longtemps, du temps où j’étais moi-même en plein dedans. Je vais vous la raconter et vous allez comprendre. Il s’agissait d’une affiche publicitaire pour une bagnole dont je tairais la marque par éthique personnelle. Sur l’affiche, on voyait un superbe cabriolet conduit par un beau mec parce que la pub n’aime pas les moches. A quelques mètres de cette bagnole, au bord de la route, il y avait une superbe nana, blonde, bronzée, en mini short et tout et tout. Elle tenait dans la main une petite pancarte où il y avait inscrit en gros et en gras, justement, le mot NICE. Et, détail important, elle levait le pouce vers le haut, signe, vous l’avez sûrement pigé, qu’elle faisait du stop, justement, pour aller à Nice. Or, notre beau mec, probablement un touriste anglophone, a cru que la nana est tombée en admiration béate de son superbe cabriolet, alors, juste au moment où il est passé à côté d’elle, il lui a lancé cette phrase galante mais qui était, dans ce contexte, totalement idiote: «You are nice too». Traduction: «Vous aussi, vous êtes jolie».
Je ne sais pas si cette histoire vous a fait marrer, mais moi, en tout cas, elle m’a empêché de m’afficher avec ce fameux «JE SUIS NICE» alors que je vous le jure, j’étais de tout cœur avec cette ville avec laquelle j’ai de vieux souvenirs indélébiles. Sinon, j’en ai une autre que j’ai trouvée sur internet et qui, elle, m’a vraiment fait rire. Quelqu’un, chez nous, voulant exprimer sa solidarité avec nos amis de Turquie, a posté sur sa page Facebook cette inscription d’anthologie: «JE SUIS BIM». Comme quoi, en fin de compte, on peut toujours rigoler de tout, mais après coup.
Cela dit, j’espère que vous avez compris que même si j’aime bien rire et faire rire, je reste quand même sensible à ce qui arrive dans mon monde et dans ce monde. Et c’est pour cela que je vais dire vivement la fin de la barbarie et vivement mardi prochain.