Lippe dédaigneuse: «mais comment? Des Marocains qui nous écoutent?! Allons bon…».
Petit regard par en dessous: «ah ben il ne manquait plus que cela, être espionnés par ces sous-dev’!».
Air hautement condescendant: «des Marocains?!! Mais vous n’y pensez pas!».
En plein pseudo-scandale planétaire de l’affaire Pegasus, la petite bonne femme distraite et pas du tout calculatrice qui vous écrit ces lignes dans un état de véritable rage froide, n’a pas eu besoin de se souvenir que son cycle menstruel touchait à sa fin: mon fil Facebook est venu très à-propos rappeler à mon bon souvenir, avec une publicité, la venue imminente de mes ragnagnas, que jamais ô grand jamais, malgré bien des audaces et bien des folies, je n’ai évoqués auprès de mes contacts, ceux qui forment mon réseau.
J’en ai parlé il y a un certain temps, peut-être à ma fille, ou peut-être en me sermonnant à voix haute… L’algorithme de Facebook a cela d’étrange qu’il «capte» aussi ces trucs-là… Et voilà, tous les mois, à point nommé, Facebook vient me rappeler à quel point la culotte menstruelle de Madame OlympeTM (pub gratuite, de rien) pourrait me faciliter la vie.
Une culotte menstruelle, écolo, de fabrication marocaine, que je prendrais sans doute plaisir à porter (c’est en tout cas la promesse marketing du site promotionnel) et ensuite à nettoyer, dans ma nouvelle et toute petite machine à laver semi-automatique, Made in Morocco, trois litres d’eau seulement par cycle, n’y fourrez pas trop de fringues, elle se débrouille parfaitement, et fait le job, bravo.
J’ai pris Facebook comme exemple, ç’aurait aussi bien pu être Twitter, ou tout autre réseau social.
Profilée.
Epiée.
Par de stricts inconnus?
Par le calcul savant de machines?
Je n’en sais strictement rien.
Autre occurrence, plutôt zarbi: il m’a suffi d’avoir, voici un peu plus de deux mois, une conversation avec encore une fois ma fille, cette fois-ci sur ses goûts en shopping, pour qu’une pub de la boutique en ligne qu’elle avait évoquée avec moi, dans cette conversation à deux dans mon ancien appartement de Marrakech, apparaisse comme par magie dans mon «fil d’actualités» sur Facebook…
L’affaire Pegasus? Rien que de très normal, dans cette société de l’information dans laquelle nous sommes noyés, où absolument tout le monde écoute tout le monde, et où je t’espionne et tu me contre-espionnes. L’arroseur arrosé, l’attrapeur attrapé… Touché? Haha. Coulé.
C’est surtout ce ton condescendant, qui suintait phrase après phrase dans ce que j’ai pu lire comme articles accusateurs envers le Maroc, ou pu entendre comme déclarations sur des plateaux de télévision, qui a irrésistiblement évoqué, pour moi, un objet dont comme tant d’autres je me suis débarrassée à grands coups de pieds, peu avant de larguer les amarres et de quitter Casablanca.
C’est d’ailleurs le premier truc, avant que les brocanteurs ne débarquent, que je suis allée décrocher d’un mur des toilettes où il était exposé: la Une encadrée d’un numéro d’un quotidien en français datant du Protectorat, Le Petit Marocain, qui, dans les années quarante-cinquante du siècle dernier, abreuvait nos cerveaux colonisés de ses expressions condescendantes, puisque ses journalistes étaient persuadés de leur grande supériorité.
Un cadeau de mariage, celui d’une union révolue, que j’avais récupéré à notre heureux divorce, et que je traînais depuis tel un boulet. Je l’avais fichu aux chiottes, le boulet. La vision du monde que Le Petit Marocain proposait ne pouvait s’assortir que de mes déjections et de celles de mes hôtes -parmi ceux-ci, un Français avait eu la bonne idée de s’excuser, certes à demi-mots, de ce qu’avait commis sa patrie envers la mienne, juste après le popo et la lecture édifiante qu’il fit là.
Je les regarde, les Edwy Plenel et consorts, et je me dis qu’ils n’en sont toujours pas guéris, du syndrome du «Petit Marocain». Un Marocain, ça doit savoir se tenir à sa place. Ils ont ouï dire qu’ils avancent, ces Marocains, qu’ils progressent, qu’ils évoluent? Mais il n’en est tout simplement pas question! La machine à contrer, à tabasser, à tenter de casser du «Petit Marocain» se met immédiatement en branle.
Peu importe, après tout, si Karen, née au Maroc, magnifie de son œil de photographe les savoir-faire parisiens, et pose un regard sublimement poétique sur le monde qui l’entoure…
Peu importe, si Wanis, né au Maroc, a su théoriser, dans un admirable élan où l’intuition le dispute à la science, la circulation des grandes métropoles…
Et oui, peu importe encore, si Yoram, né au Maroc, et tout aussi très en avance sur son temps, a inventé une carte de visite digne du XXIIe siècle, avant de créer un régime révolutionnaire, qui bouscule tous les codes, et fait remettre leurs vieux jean’s à des hommes et des femmes, par dizaines, qui étaient gavés de malbouffe, et qui le sont toujours d’infobésité.
Car oui, nous sommes à l’ère de l’information, à celle des fake news, aussi. Nous sommes également à une ère où une certaine élite d’une Europe sclérosée, d’un Occident qui peine à se réinventer, regarde de haut un pays, notre Maroc à multiples vitesses, et réfute l’évidence: que vous le vouliez ou non, vos matières grises valent bien certaines des nôtres.
Nous vous égalons? L’idée vous fait frémir?
Oh que non, nous ne nous contentons pas de vous égaler: sachez simplement que certains d’entre nous, vous dépassent déjà.
Et je n’ai fait que regarder juste là, devant mon nez: ces trois admirables Marocains que je viens de citer ont obtenu leur bac en même temps que moi, dans mon lycée casablancais.
Oui, vraiment, à bas cette condescendance qui pue la naphtaline.
Je serais ravie de voir Edwy Plenel & Co s’attaquer au décidément très étrange algorithme de Facebook. Mais ça, c’est bien trop énorme pour eux, jugent-ils en toute couardise, tout en faisant semblant de n’avoir rien vu.
«Le Petit Marocain», par contre, pouahaha, c’est facile, «on va le casser».
Vous rêvez. Et vous êtes très en retard par rapport à certains d’entre nous.