Ce n’est pas la première fois que des citoyens acculés à travailler clandestinement pour survivre, perdent la vie dans des accidents dont le responsable est l’individu qui profite de leur précarité pour s’enrichir.
C’est un scandale à répétition. Les 29 victimes (20 femmes et 9 hommes) de la semaine dernière viennent s’ajouter à d’autres malheureux qui ont perdu la vie en travaillant sans sécurité, sans hygiène, sans le respect d’aucune loi. Mais ces personnes sont avant tout victimes d’une situation intolérable qui existe depuis longtemps et qu’on laisse perdurer.
Ce n’est pas une question de morale, même si un minimum d’éthique a son mot à dire. C’est une question de droit et de justice. C’est surtout, en dernier ressort, l’Etat qui ferme les yeux et laisse faire. La villa clandestine n’avait rien de clandestin. Tout le monde savait à quoi elle servait. Mais on se dit, il vaut mieux ça que le chômage. Il a fallu que la colère de la nature, pour que ce qui était clandestin devint une réalité béante et douloureuse.
Il n’y a de lutte contre ce commerce hors-la-loi, qu’en proposant aux travailleurs un cadre normal, sécurisé et reconnu pour gagner leur vie. C’est là où le gouvernement devrait intervenir. Ce n’est pas sorcier. Il suffit d’obliger les propriétaires de ces lieux malsains où l’exploitation de la pauvreté est de notoriété publique, à assainir le lieu et à régulariser leur situation. Encore faut-il que la corruption ne passe pas par là.
Il y a quelques années, Sa Majesté circulait incognito à Tanger et remarqua que la corniche était encombrée de bars, restaurants et boîtes de nuit, ce qui fait qu’ils cachaient la vue de la mer. Le wali de l’époque, Mohamed Hassad, sur ordre royal, fit détruire tout ce bazar, car aucun des établissements n’avait de documents l’autorisant à exercer dans ce secteur. C’était le règne de l’informel, du fait accompli, et tout cela, corruption à la clé.
En quelques semaines, la corniche a été dégagée; elle fut restaurée ensuite, ce qui a donné aujourd’hui une belle marina.
Donc, on peut, quand on veut, empêcher l’informel de prospérer et surtout de provoquer des accidents mortels.
Selon une étude de la CGEM, il paraît que 54% de la production autour du textile et du cuir appartiennent au domaine de l’informel, donc d’une forme d’illégalité et surtout d’une exploitation des travailleurs payés au lance-pierre, comme on dit. Les normes de sécurité ne font pas partie des préoccupations des patrons, ce qui vient de se traduire par la mort de 29 personnes. Et ces patrons, payent-ils des impôts? Difficile de déclarer quelque chose qui n’existe pas officiellement, donc échappe au fisc.
On se demande «que font les syndicats?». Il est évident que ces ouvriers clandestins n’étaient pas syndiqués. Ce n’est pas une raison pour qu’ils soient ignorés de ceux qui, en principe, défendent les intérêts des travailleurs.
L’Etat de droit se construit notamment en luttant contre ce qui le mine et l’empêche d’exister. Ainsi, une lutte contre le travail clandestin est ouverte. Il ne s’agit pas d’interdire aux gens de travailler, mais d’obliger les patrons à entrer dans le droit et à respecter non seulement les règles du travail, mais aussi de respecter la dignité de celles et ceux qui se présentent pour travailler même s’ils savent que le risque d’accident mortel existe.
La clandestinité, c’est du vol. Et le vol entraîne parfois des assassinats.