Il n’y a pas que les séries télévisées turques historiques ou sentimentales, doublées en arabe marocain ou syrien, squattant les petits écrans marocains. Il y a, à travers le royaume chérifien, les supérettes de proximité Bim, réputées pour les bas prix de leurs produits qui restent pourtant, dit-on, d’une appréciable qualité.
Il y a aussi, bien sûr, les entreprises turques qui, sans tambour ni trompette, ont peu à peu affiché discrètement leurs logos sur les chantiers autoroutiers ou portuaires de Chérifie, tenant les délais promis à des prix défiant toute concurrence. Il y a encore les mille petits objets quotidiens venus des manufactures d’Anatolie et donnant satisfaction jusqu’au barbier populaire d’Azrou ou Agadir qui vante à ses clients lames turques, crème à raser turques, mini-tondeuses turques, etc.
Pas de visas !
Il y a enfin et surtout l’absence de visas pour les citoyens marocains désireux de visiter la Turquie, d’y séjourner, d’y chercher des clients ou d'y trouver des fournisseurs. L’accueil n’est pas forcément expansif mais il n’est jamais désagréable. Et puis, quel dépaysement pour le Marocain, habitué aux voyages en Espagne ou en France, de découvrir les splendeurs à la fois orientales et modernes, islamiques et cosmopolites, soignées et colorées des immensités urbaines, stambouliotes ou smyrniotes.
De retour au Maroc, le voyageur, généralement satisfait, encourage ses proches à emprunter à son tour le «tapis volant» nommé Turkish Airlines. Seul problème là-bas la langue, mais «avec un peu de français, un peu d’anglais, on s’arrange vite dans les souks, et puis le turc n’est pas très difficile et il charrie une foule de mots français, précise ce prospère commerçant marrackchi qui a déjà pris femme sur les bords du Bosphore et qui nous cite de mémoire, tout un tas de termes français turquisés: tren, kamyon, otobus, buro, motosiklet, kravat, kuafor, kafeterya, guiché, futbol, fotograf, ekran, décolté, asansor, aparteman, etc., etc.
De Séville à Tombouctou
En outre, les Turcs -peuple féru de son Histoire- savent généralement que «si les Arabes ont lâché l’Empire ottoman pour pactiser avec les Franco-anglais», les Marocains, «qui ont aussi eu leur Empire, de Séville à Tombouctou», ont été, eux, des adversaires loyaux des Ottomans, qu’ils ont seulement empêché de franchir la frontière algéro-chérifienne. «Match nul historique» entre Maroc et Turquie a écrit en août 2012 le quotidien turc Hurriet: deux Etats-nations toujours à armes égales!»
L'historien Hamit Bozarslan
Les Marocains, y compris ceux férus de séjours sur la mer de Marmara, paraissaient jusqu’ici avoir une moindre connaissance de l’Histoire de Turquie que les Turcs de l’Histoire du Maroc. Un de ces voyageurs se plaignait, il y a quelques années: «Vous comprenez, je n’ai pas envie de lire une Histoire des Turcs écrite par des Européens, des non-musulmans, peut-être par des ennemis de la Turquie».
Or, ce prétexte est tombé depuis que l’historien 100% turc Hamit Bozarslan a publié directement en français une Histoire de la Turquie de l’Empire à nos jours (1). Un ouvrage certes érudit et costaud (600 p.) mais à l’écriture claire et éclairante.
J’avais lu moi-même, lors de mes reportages en Anatolie, plusieurs livres sur les Turcs (Roux, Mantran, Ternon, Ter-Minassian, Pérouse, etc.) mais le travail de Bozarslan m’a permis de mieux appréhender des périodes compliquées comme le passage du Sultanat-Califat à la République (1922-1924) ou bien la question encore plus délicate du génocide arménien que cet auteur turc n’esquive pas et traite, au contraire, en pleine lumière. Avoir à sa disposition un tel livre, disponible pour 150 dh dans toutes les bonnes librairies marocaines, est une raison de plus pour aller en Turquie en connaissance d’Histoire.
(1) Collection Texto, Tallandier, Paris, 2015
