Un Banou-Hilal à Saint-Malo

Fouad Laroui.

Fouad Laroui.. KF Corporate

ChroniqueLe Musulman, c’est celui qu’on désigne comme tel, qu’on dénonce, sans rien voir des autres facettes de sa personne, et on croit donc le connaître alors qu’on ne sait rien de lui.

Le 08/06/2022 à 11h00

Mon ami Belaïd, prof’ de math’ à la retraite, m’a rapporté hier un dialogue surréaliste dont il a fait les frais dimanche dernier vers 11h à l'hôtel Univers, à Saint-Malo. (Il y était comme chaque année pour le Festival littéraire Étonnants Voyageurs.) Écoutons son récit.

Je prenais un café dans le hall de l'hôtel, tranquille comme Baptiste, l’esprit en paix, en attendant une lecture de poésie annoncée dans la salle des conférences. Ladite lecture devait être donnée par la jeune poétesse marocaine Rim Battal, dont on m’avait dit le plus grand bien. Tu imagines dans quel état de sérénité j’étais, surtout que j’aime beaucoup Saint-Malo, la cité de Surcouf le corsaire.

Soudain, un monsieur vêtu d’une veste couleur puce, l’air un peu fada, le nez en trompette, me prit en photo, comme ça, d’autor’; comme si j'étais la Vénus hottentote ou un monument maya. Il le fit discrètement, certes, mais sans me demander mon avis. Ce geste, je l’ai trouvé déconcertant (qu’ai-je donc d’instagrammable ou de polaroidable?) mais surtout discourtois.

Je le lui fis remarquer, sur un ton bonhomme. «Vous eussiez pu me demander mon avis, cher monsieur, avant que de m’immortaliser avec force pixels.»

C’est alors que ma voisine de table, une dame à laquelle on eût donné soixante-dix ans sans espoir qu’elle en rende un, me dit sur le ton de la douairière tançant ses domestiques: «Vous n'aimez pas qu'on vous photographie, mon bon? Seriez-vous musulman?»

Je restai sans voix. J'étais à Saint-Malo pour écouter de la poésie et voilà que mes lointaines origines Banou-Hilal rappliquaient au galop pour envahir le décor. J'étais sommé de m’expliquer par la barbe du prophète, comme dirait le capitaine Haddock. On t’a repéré, hérétique! Tu veux transformer l’Univers (l’hôtel) en mosquée?

Je me levai pour fiche le camp mais un agent de sécurité, qui avait tout entendu, se méprenant sur mon geste et pensant que j’allais estourbir la rombière (je cèle toujours un cimeterre dans ma capeline), s’interposa entre nous et me susurra, conciliant:

«Calmez-vous. Madame de *** (ici un nom que je n’ai pas retenu) rentre d’un voyage touristique dans un pays musulman. Elle a essuyé moult refus quand elle a voulu photographier les autochtones. Elle nous a raconté hier que c'était à cause de leur religion… Vous qui êtes musulman [ça y est, c'était officiel], vous savez cela, n’est-ce pas?»

Sans dire mot, je suis sorti et je suis allé me promener sur la plage pour me rasséréner. J’ai raté le récital de la talentueuse Rim. Pas de poésie pour moi ce jour-là mais une leçon de philosophie: le Musulman, c’est celui qu’on désigne comme tel, qu’on dénonce, sans rien voir des autres facettes de sa personne, et on croit donc le connaître alors qu’on ne sait rien de lui.

Tout cela parce que j’ai objecté à ce qu’on me photographiât…

Par Fouad Laroui
Le 08/06/2022 à 11h00