Si vous passez un de ces jours à Bordeaux, allez faire un tour au Monoprix de la place Saint-Christoly. On y trouve une section spéciale où l’on présente avec fierté le meilleur de l’offre vestimentaire. Touchez ce tissu, mesdames; palpez, palpez, messieurs; admirez cet impeccable ourlet; sentez du bout des doigts la finesse de ce bouton de nacre; voyez ce tombé digne de l’Antique; faut-il vous l’envelopper?
Et voici le plus extraordinaire: pour prouver au chaland que tout cela est de la plus haute qualité, la direction a affiché cet avis net et sobre et qui se passe d’explications: made in Morocco!
J’ai dû ajuster mes lunettes pour bien regarder l’affiche. Non, ce n’était pas “Monaco“ ni “Molukken“, c'était bien le nom de notre bon vieux pays.
J’ai vérifié la date sur ma montre: on n'était donc pas le 1er avril –tout cela s’est passé avant-hier. Ce n'était pas une blague.
Dites donc, on revient de loin.
Il fut un temps où ceux qui vendaient de la frippe fabriquée au Maroc cousaient un discret et menteur “made in Italy“ dessus pour espérer l’écouler.
Il fut un temps où tout ce qui provenait de l’Empire chérifien était étiqueté d’office “camelote“ –parfois injustement.
Il fut un temps…
En me promenant sur le cours de l’Intendance, mes emplettes faites, j’avais envie d'arrêter chaque passant et de lui révéler que j'étais ressortissant de ce fameux pays où le Monoprix de Saint-Christoly allait s'approvisionner quand il avait besoin de marchandise de qualité. On m’aurait regardé avec admiration. On m’aurait peut-être offert un verre, une médaille; au moins, un vigoureux shake-hand.
Et puis, un doute insidieux m’envahit.
Toutes ces merveilles sont-elles disponibles dans les boutiques du Royaume? Le Marocain lambda peut-il se les procurer? Ou bien seuls les Bordelais, même laids, et leurs femmes, souvent girondes, ont-ils/ ont-elles le droit de porter ce qui se fait de mieux chez nous?
Ça me rappelle que le sommelier du meilleur restaurant d’Amsterdam (celui de l'hôtel de l’Europe) présente dans sa sélection personnelle (“mes dix bouteilles d’exception“) un vin de Meknès dont les connaisseurs m’assurent qu’il n’est nulle part en vente entre Tanger et Lagouira.
Ces réflexions assombrirent un peu mon humeur.
Arrivé à la place des Quinconces, je décidai de mettre mon enthousiasme en mode “pause“ et de ne le raviver que le jour où mes amis de Béni Mellal et d’El Jadida pourront, eux aussi, se procurer ces merveilles que les Bordelais s’arrachent parce que “made in Morocco“.