J’ai rarement été aussi épaté de ma vie.
À ma gauche, le jeune Anas (treize ans) rédige sur une feuille de papier, en arabe, une question très pointue qui porte sur les trous noirs.
Quelques minutes avant, c’est dans un anglais impeccable que ce même garçon avait soulevé un problème relatif à ce qu’on nomme “le rayonnement de Hawking“.
La veille, il m’avait posé dans un français châtié une question sur Galilée.
Déjà trilingue et à l’aise en astrophysique (et dans bien d’autres domaines), mais qui diable est cet adolescent? C’est la question qui me titille.
Quant à sa voisine, qui doit avoir le même âge que lui, c’est bien simple: elle commente en direct, à mi-voix, la conférence que donne Bouster, un astrophysicien marocain de vingt-sept ans dont une constante cosmologique porte le nom –il l’a établie en calculant la vitesse de rotation de plus de trois cents galaxies. (Retenez son nom, il ira loin, Bouster.)
La gamine– je n’ai pas retenu son nom, appelons-la Amina– commente, corrige, précise en temps réel ce que raconte Bouster. Puis elle lui pose quelques questions où il est question de wormhole, théorie de Penrose, amas de galaxies, horizon des événements, etc.
Attendez, je rêve, jetez sur moi un seau d’eau (saumâtre), réveillez-moi!
Eh bien, pas du tout, tout cela était bel et bien la “vraie vérité“, comme disait feu Celso Furtado. C’était le week-end dernier, à Laâyoune, plus précisément à Foum El Oued. Je m’y trouvais avec quelques collègues pour donner des conférences dans le cadre de la Semaine de la Science. Mais dans le bel auditorium de l'Institut africain de recherche en agriculture durable (Asari), les vedettes étaient dans la salle.
En reprenant l’avion dimanche soir pour rentrer à Casablanca, nous nous demandions: que vont devenir ces petits génies? Trouveront-il les professeurs qui sauront les accompagner, les orienter? Et leurs parents? Ceux de la petite Amina sauront-il l’encourager à aller jusqu’au bout de ses rêves étoilés? Ou bien lui diront-il, hélas, “apprends plutôt la couture”?
Coïncidence: l’expression “C’est Mozart qu’on assassine“ figure dans Terre des hommes, l’ouvrage de Saint-Exupéry, dont on connaît les liens avec Tarfaya. On assassine Mozart quand on ne permet pas à un enfant d’aller au bout de ses possibilités, de son talent.
À Laâyoune, c’est peut-être un futur Newton ou une future Marie Curie que j’ai rencontrés.
Dans le bel oiseau de la RAM, à la hauteur de Tarfaya, notre décision fut prise: nous allons suivre de loin la scolarité des deux cracks, Amina et Anas, prêts à intervenir pour donner un coup de main si c’est nécessaire.
Peut-être faudrait-il le faire pour tous les enfants du pays.
Peut-être faudrait-il une Fondation…
Peut-être…